Quand la Société canadienne du cancer (SCC) a exhorté le gouvernement à bloquer le projet d'expansion de la mine Jeffrey, au mois de juin, la ville d'Asbestos a répliqué en se retirant de la campagne Relais pour la vie - une marche qui permettait de recueillir 75 000$ par an pour la recherche contre le cancer.

La SCC soutient que le projet «contribuerait à propager l'épidémie de cancers causés par l'amiante, qui font 90 000 morts chaque année dans le monde».

L'affaire a déchiré Nicole Forgues, organisatrice de la marche à Asbestos. Son père a eu deux cancers. Ses beaux-parents en sont morts. La cause lui tient à coeur. «Mais pour nous, cette sortie était un coup de poignard dans le dos.» Elle s'est donc rangée à la décision du conseil municipal.

Comme tout le monde.

Lorsqu'il est question des risques de l'amiante, les Asbestriens ont l'épiderme ultrasensible. Il y a quelques semaines, des experts vêtus de combinaisons de protection ont procédé à des tests sur un mélange d'amiante-asphalte étendu sur un boulevard de la ville. Une véritable provocation. Des citoyens outrés ont arraché les panneaux qui avertissaient: «Danger - Amiante».

Pour eux, l'amiante ne représente pas un danger, mais une fierté. L'été dernier, la municipalité a même organisé un pique-nique familial pour célébrer la réouverture de la rue principale, entièrement revêtue d'amiante-asphalte!

Ils ont l'impression de se battre contre une énorme machine. L'Institut de la santé publique du Québec multiplie les études dévastatrices. L'Association médicale du Québec, l'Organisation mondiale de la santé et de nombreux autres organismes se sont prononcés contre l'exportation du minerai. Les militants comparent le Canada à un ignoble marchand de mort.

Cette campagne enrage Bernard Coulombe. Quand il s'emporte, le bouillant président de Mine Jeffrey n'hésite pas à traiter les experts en santé publique de talibans. «Ils sont très puristes. Pour eux, on ne compte pas. Ce n'est pas grave, on n'est pas nombreux. Asbestos, ils ne savent même pas où c'est!»

Dans cette ville, ce monde parallèle, même le responsable de la santé publique, Richard Vaillancourt, est en faveur du projet de mine souterraine. Comme le Dr Morin, il appuie son argumentation sur une série d'études rassurantes... commanditées par l'Institut du chrysotile, le puissant lobby de l'industrie.

Ça semble surréaliste, jusqu'à ce qu'on comprenne que le père de M. Vaillancourt a perdu son emploi lors de la crise de l'amiante. Ici, le destin de tout le monde est lié à la mine. Ici, tout le monde en bave. Depuis longtemps. «On l'a dans la gorge», avoue-t-il.

Dans ce contexte, on s'étonne moins du fait que le conseil d'administration du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) d'Asbestos - où siègent deux médecins - ait appuyé à l'unanimité le projet de mine souterraine.

Le directeur général du CSSS, Mario Morand, est pour, même si son beau-père vient de mourir de l'amiantose à 78 ans.

«On est placé devant un dilemme, résume-t-il. On a une maladie potentielle qui peut être causée par notre seule ressource naturelle. Or, l'exploitation de cette ressource permettrait d'accroître de façon significative le développement économique de notre communauté. Ça réglerait des problèmes sociaux comme le chômage, l'alcoolisme et la toxicomanie, qui ont un impact énorme sur la santé publique.»

Pour lui, et pour Asbestos, le choix est clair. Il l'a toujours été.