«Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras!» Au-delà de la haute voltige stratégique, les décisions se prennent bien souvent sur des constats d'une navrante simplicité. Pauline Marois est au pouvoir, même minoritaire, et elle est loin d'être sûre d'améliorer son sort en déclenchant des élections générales.

Le vice-premier ministre François Gendron a sifflé la fin de la récréation et, en quelques mots probablement soufflés par Mme Marois, coupé court aux rumeurs d'élections imminentes.

Depuis des semaines, les annonces s'accumulaient: politique économique, industrielle, stratégie pour l'innovation, le tourisme. Et tout le débat lancé autour du projet de Charte des valeurs semblait tomber à point nommé pour assurer une rampe de lancement électorale au Parti québécois. En coulisse, l'organisation péquiste soufflait plutôt le chaud et le froid. La permanence avait pris contact avec des fournisseurs pour les affiches électorales, mais le dernier conseil exécutif du parti s'était terminé sans qu'on donne le feu vert à la machine.

C'est du côté de l'opposition, surtout, que les rumeurs s'emballaient. «Ils ont réservé les lignes téléphoniques pour les locaux de campagne», disait, comme une confidence, un apparatchik libéral. «Ils ont fait tellement d'annonces pour chauffer le poêle que toute la corde de bois y est passée. Ils n'auraient plus rien à annoncer au printemps», tonnait un autre. Tout est annoncé? Ces annonces peuvent se décliner jusqu'à l'infinitésimal, autant d'écoles, autant d'usines... autant d'annonces potentielles.

Il est évident que Pauline Marois a tout mis en oeuvre pour faire bouger l'aiguille des sondages. Et elle y est parvenue, mais pas assez. Le Parti québécois (PQ) monte lentement, mais régulièrement, dans les intentions de vote. La cote personnelle de Mme Marois a aussi augmenté: elle est désormais au coude à coude avec Philippe Couillard, bien absent au cours des dernières semaines.

Mais certains chiffres sont plus têtus: le taux de satisfaction reste anémique à 35%, et il n'a pas bougé depuis trois mois. Or, cette donnée est déterminante: seulement 35% de la population juge que le gouvernement fait du bon travail. C'est le maximum de votes que pourrait obtenir le PQ actuellement, ce qui serait insuffisant pour décrocher un mandat majoritaire.

Ce n'est pas un hasard que cette sortie tombe deux jours après la publication du dernier sondage CROP dans La Presse. Pour faire bonne figure, les péquistes chuchotent désormais que ce sont les libéraux qui veulent déclencher des élections; rien n'est plus faux. Le spectre d'un scrutin automnal a forcé le Parti libéral (PLQ) à compresser son plan de match, qui devait culminer avec un congrès à la fin du mois de janvier 2014. Trouver des candidats à la hâte, pondre un programme en catastrophe; les libéraux sont passablement soulagés de voir l'horizon tout à coup reculer.

Beaucoup plaidaient que Pauline Marois avait avantage à contrôler l'agenda, à déclencher l'appel aux urnes plutôt que de se faire renverser sur un budget écrit à l'encre rouge au printemps. D'ici décembre, Québec aura à publier sa photo des finances publiques, et le retour au déficit zéro paraîtra clairement impossible.

Tout le monde semble tenir pour acquis que le gouvernement sera renversé à la suite de son prochain budget, au printemps.

La CAQ

Avec des sondages catastrophiques pour son parti, François Legault hésitera probablement à lancer les dés. Et s'il est d'humeur kamikaze, ses députés ne se laisseront pas docilement amener à l'abattoir.

Il est loin d'être acquis que le gouvernement Marois sera renversé au printemps. Quelques révélations embarrassantes pour le PLQ à la commission Charbonneau - qui abordera la scène provinciale au printemps -, et le ciel pourrait tout à coup se dégager pour la première ministre. De plus, l'implosion prévisible à la Coalition avenir Québec rebrassera les cartes. Le PQ peut aller chercher bien des circonscriptions caquistes dans la périphérie de Montréal, les libéraux peuvent faire des gains à Québec. Il est bien difficile de prévoir pour l'instant le résultat net de cette nouvelle donne, un autre argument pour reporter les élections.

À l'automne 1980, à la tête d'un gouvernement impopulaire, René Lévesque jonglait avec le scénario d'élections générales. Mais il a plutôt choisi de déclencher quatre élections complémentaires pour combler autant de départs. Il les a toutes perdues. Il a attendu au printemps et remporté haut la main des élections générales le 13 avril 1981. Pauline Marois s'en souvient: elle est devenue députée ce jour-là.