Le gouvernement libéral de Justin Trudeau écarte formellement l'idée de créer d'une commission enquête publique afin de faire toute la lumière sur le traitement des détenus afghans capturés par les troupes canadiennes entre 2005 et 2011.

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a rejeté cette idée vendredi dans une réponse écrite qu'il a déposée à la Chambre des communes après le dépôt d'une pétition électronique par le député néo-démocrate de Burnaby-Sud, Kennedy Stewart qui réclamait la tenue d'une telle enquête.

Pourtant, lorsqu'ils étaient dans l'opposition, les libéraux exigeaient la tenue d'une enquête pour déterminer si les troupes canadiennes avaient bel et bien transféré des détenus afghans aux forces de sécurité afghanes alors qu'ils risquaient d'être torturés, ce qui serait contraire aux conventions internationales concernant les prisonniers de guerre.

L'actuel premier ministre, Justin Trudeau, avait lui-même exigé qu'on fasse la lumière sur cette affaire en 2009, estimant que la réputation internationale du Canada était en jeu. Mais maintenant qu'ils sont au pouvoir, les libéraux ont visiblement changé leur fusil d'épaule dans ce dossier.

« Tout au long des opérations militaires du Canada en Afghanistan, qui ont débuté en octobre 2001 et ont pris fin en mars 2014, le gouvernement du Canada s'est engagé à veiller à ce que les personnes détenues par les Forces armées canadiennes (FAC) soient traitées et transférées ou libérées conformément à nos obligations en vertu du droit international », a affirmé le ministre dans sa réponse.

« Les FAC ont traité tous les détenus avec humanité. Les normes de protection offertes par la troisième Convention de Genève ont été mises en application. Les protections incluaient la fourniture aux détenus de nourriture, d'un abri et des soins médicaux nécessaires. En outre, les membres des Forces armées canadiennes chargés de la prise en charge et du transfert des détenus ont reçu une formation avant leur déploiement », a-t-il affirmé.

« Nous avons travaillé avec les Forces de défense et de sécurité nationales afghanes (FDSNA) et nous les avons formées pour augmenter la capacité du gouvernement afghan à traiter les détenus de manière appropriée », a-t-il encore dit.        

Cette réponse a soulevé l'ire du l'ancien député néo-démocrate Craig Scott, un expert en droit constitutionnel qui s'intéresse à la question du traitement des détenus afghans depuis plusieurs années.

« Ces mots auraient pu être écrits par l'ancien gouvernement conservateur. (...) Il est profondément décevant de voir que le gouvernement libéral a choisir d'ajouter un autre lien à une chaîne de complicité qui a donné lieu à de nombreux efforts, au cours de la dernière décennie, de la part de plusieurs acteurs du gouvernement canadien pour cacher la vérité et rendre impossible toute forme de reddition de compte », a affirmé M. Scott dans un courriel à La Presse.

« Je m'attendais à mieux de la part de ce gouvernement, peut-être parce que Stéphane Dion, l'actuel ministre des Affaires étrangères, avait été très clair lorsqu'il était dans l'opposition que les Canadiens méritaient de savoir toutes les réponses aux nombreuses questions qui étaient demeurées sans réponses après que le gouvernement Harper eut mis fin à l'examen parlementaire de ce dossier quand il a remporté sa majorité en mai 2011 », a-t-il dit.

M. Scott s'est dit d'autant plus outré de la décision du gouvernement Trudeau à la lumière des révélations de La Presse de cette semaine sur le traitement de détenus afghans sous la garde de la police militaire au centre de détention de la base militaire de Kandahar.

La Presse a publié cette semaine une lettre rédigée par un petit groupe de policiers militaires dans laquelle ils soutenaient que près de la moitié des Afghans qui ont été capturés par les soldats canadiens au cours des opérations menées durant cette période et qui ont été incarcérés au centre détention de la base militaire de Kandahar n'avaient aucun lien avec les insurgés talibans.    

Ces prisonniers ont plus tard été relâchés par le commandant des opérations, faute de preuves qu'ils appuyaient les insurgés, après avoir passé en moyenne deux mois dans le centre de détention sous la garde de la police militaire des Forces armées canadiennes, soutiennent-ils, alors que le gouvernement canadien affirmait publiquement qu'ils étaient détenus en moyenne entre 48 et 96 heures, tout au plus.

Ce sont ces mêmes prisonniers afghans qui, avant d'être relâchés, auraient subi les contrecoups des « exercices d'entrées dynamiques » - des incursions sans préavis en pleine nuit - qui auraient été menés dans leurs cellules par les policiers militaires.

«Près de 50 % des personnes incarcérées par la Police militaire n'étaient que des gens comme vous et moi, des époux, pères de familles, fermiers qui n'avaient strictement rien à se reprocher. Pourquoi et comment ce mépris de nos lois et nos valeurs canadiennes peuvent-ils survenir? », ont affirmé ces policiers militaires, dans cette lettre qu'ils signent ainsi : « Protéger et Servir ».

La semaine dernière, une coalition de défenseurs des droits de la personne, d'anciens et d'actuels parlementaires ainsi que de diplomates avait aussi demandé au gouvernement Trudeau de lancer une enquête publique au sujet du traitement des détenus afghans durant la mission canadienne en Afghanistan.