Les travailleurs étrangers temporaires dans des emplois peu rémunérés dans les commerces et les restaurants pourraient grandement disparaître du paysage au Québec: la réforme d'Ottawa limite non seulement le nombre que les entreprises peuvent embaucher mais les interdit complètement dans les régions à chômage élevé, ce qui est le cas de la majorité de celles de la province.

Après avoir été la cible de féroces critiques, Ottawa a remanié vendredi son programme de travailleurs étrangers temporaires pour réduire leur nombre au pays.

Au Québec, les travailleurs étrangers ne seront vraisemblablement plus visibles que dans la ville de Québec et en Chaudière-Appalaches, seules régions où le taux de chômage est inférieur à six pour cent, le seuil décrété par Ottawa dans sa réforme.

Le moratoire sur l'embauche dans le secteur de l'alimentation, imposé en avril, a par ailleurs été levé.

Québec avait réclamé d'Ottawa une exemption pour que son secteur touristique ne soit pas pénalisé à l'approche de l'été. La levée du moratoire à la fin juin arrive toutefois bien tard pour que ces entreprises puissent embaucher du personnel étranger.

Mais on était loin d'une crise au Québec, rétorque le ministre de l'Emploi, Jason Kenney. Il n'y avait que 250 postes gelés, souligne-t-il.

«Nous allons permettre les positions approuvées par le gouvernement du Québec», affirme-t-il. Quand? «Très prochainement, au maximum quelques semaines», a répondu le ministre, mal à l'aise. Car les employeurs ne risquent pas de faire la file fin juillet pour engager du personnel pour l'été.

La ministre de l'Immigration du Québec, Kathleen Weil, s'est dite satisfaite des mesures annoncées par M. Kenney.

«Les préoccupations du Québec ont été entendues. En ce début de période estivale, la levée du moratoire nous permet de poursuivre le traitement des demandes des employeurs québécois selon les règles en vigueur avant le moratoire et de répondre à leurs besoins réels dans le respect de la main-d'oeuvre locale», a dit la ministre Weil par voie de communiqué.

Elle a toutefois précisé que «les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement fédéral ne s'appliqueront pas immédiatement au Québec et feront l'objet de négociations».

Baptisée par le gouvernement «Les Canadiens d'abord», la réforme a été dévoilée vendredi.

Elle vise surtout les emplois nécessitant peu de compétences et qui sont peu rémunérés. Au Québec, un salaire considéré par Ottawa comme «peu rémunéré» correspond à un taux horaire de moins de 20 $ de l'heure.

Les nouvelles règles rendent ainsi l'embauche de travailleurs étrangers à rémunération peu élevée plus difficile et plus onéreuse.

Mais le ministre Kenney ne s'en excuse pas.

«On veut que les employeurs y réfléchissent très sérieusement avant d'emprunter ce chemin», a-t-il dit en point de presse vendredi, en présentant sa réforme.

«Cela doit être une option de dernier recours. Ce ne doit pas être un modèle d'affaires», a-t-il ajouté.

Ottawa s'attend à ce que soit réduit de 50 pour cent le nombre de ces travailleurs dans des emplois à faible rémunération.

Dorénavant, les employeurs ne pourront pas faire venir de l'étranger plus de 10 pour cent de leur main-d'oeuvre peu rémunérée, et cela, par lieu de travail. La réduction sera graduelle.

Le plafond de 10 pour cent ne s'appliquera toutefois pas aux entreprises de moins de 10 employés ou lorsque l'embauche sera pour une courte période, soit moins de quatre mois. Ce qui peut couvrir, dans les faits, tout l'été.

Et dans les régions où le chômage est à plus de six pour cent, les entreprises ne pourront pas engager de travailleurs étrangers pour les emplois à faible rémunération en hôtellerie, dans les restaurants et les magasins.

Le taux de chômage sera évalué en gros par région administrative. Selon les données de l'Institut de la statistique du Québec pour le début de 2014, seules deux régions ont enregistré un taux inférieur à six pour cent. Les autres, comme la Gaspésie qui avait alors un taux de chômage de près de 18 pour cent, et même Montréal, avec 8 pour cent, ne pourront plus se tourner vers les travailleurs étrangers temporaires pour combler leurs besoins de main-d'oeuvre.

Les entreprises doivent engager d'abord les chômeurs, insiste le ministre Kenney.

Les fermiers n'ont toutefois pas à s'inquiéter: les travailleurs agricoles saisonniers sont exemptés des nouvelles règles. «Puisqu'il y a une pénurie importante prouvée dans cette industrie et que les emplois non pourvus sont réellement temporaires», est-il écrit dans un document d'information.

Un nombre accru d'inspections en milieu de travail est aussi promis par Ottawa pour démasquer les contrevenants. Le gouvernement parle de les augmenter de 25 pour cent et d'ajouter environ 20 inspecteurs.

Les frais par employé passent de 275 $ à 1000 $. L'argent ainsi récolté sera utilisé pour effectuer de meilleures études sur les besoins de main-d'oeuvre sur le marché et pour engager des agents pour attraper ceux qui abusent du système.

Le ministre Kenney a dit qu'il s'agit d'une formule utilisateur-payeur qui «aura un effet dissuasif sur les employeurs».

Des amendes pouvant atteindre 100 000 $ seront imposées aux contrevenants, ainsi qu'un maximum de deux ans en prison.

Le programme avait été instauré par le fédéral pour aider les employeurs qui ne pouvaient trouver de main-d'oeuvre au Canada. Mais il a été dénoncé comme étant source d'abus par des entreprises qui s'en servaient pour embaucher des étrangers plutôt que des Canadiens, dans le but de les payer moins cher.

Environ 25 000 employeurs utilisent le programme chaque année, affirme le gouvernement.

Quant aux travailleurs étrangers dans des domaines spécialisés, qui viennent au pays surtout dans le cadre d'accords de libre-échange qui sont réciproques, ce programme sera dorénavant séparé. Puisque ses objectifs sont complètement différents, il sera géré par Immigration Canada.

L'opposition n'a pas été impressionnée par la réforme.

«C'était une crise politique pour le ministre Kenney: il a fait augmenter le nombre de ces travailleurs et maintenant il essaie de le diminuer», a déclaré le député libéral John McCallum.

Selon le Nouveau Parti démocratique (NPD), les changements apportés ne suffiront pas à réparer les dégâts.

«Les changements qu'ils proposent ne garantissent en rien que les employeurs embaucheront d'abord des Canadiens. Ils n'assurent pas non plus que les travailleurs étrangers temporaires seront protégés contre les abus de leurs employeurs», a affirmé la porte-parole du NPD en matière d'emploi, Jinny Sims.