Les conservateurs de Stephen Harper tiennent mordicus à ce que les prochaines élections portent principalement sur un enjeu: l'économie. Mais un autre sujet, nettement plus délicat, pourrait s'inviter dans la campagne électorale de 2015: la participation du Canada au bouclier antimissile américain.

De passage à Bruxelles, où il participait au sommet du G7 cette semaine, le premier ministre a pour la première fois, depuis son arrivée au pouvoir en 2006, entrebâillé la porte à une éventuelle participation à ce programme américain qui doit permettre d'intercepter un ou des missiles balistiques lancés par des États voyous en direction des États-Unis avant qu'ils ne frappent leur cible.

S'il a soutenu que le gouvernement canadien, a priori, n'a pas changé sa position concernant ce projet, il a pris soin de souligner que le contexte géopolitique mondial avait changé de manière marquée depuis que les libéraux de Paul Martin ont écarté cette idée en 2005 et qu'Ottawa a l'obligation d'en tenir compte.

Aspirations russes



Qu'est-ce qui a changé depuis ce refus spectaculaire de Paul Martin, qui dirigeait alors un gouvernement minoritaire et qui faisait l'objet de vives pressions de l'aile gauche de son parti pour dire non au président américain George W. Bush?

La Russie a envahi une partie de l'Ukraine, a annexé de manière illégale la Crimée et ne cache pas son désir de rétablir son influence d'antan sur les pays qui faisaient partie de l'Union soviétique avant son éclatement en 1991.

En outre, la Russie convoite, à l'instar du Canada, les ressources naturelles abondantes qui se trouvent dans le cercle arctique. Le réchauffement de la planète et la fonte des glaces font en sorte que ces ressources sont désormais plus accessibles.

Selon l'Institut américain d'études géologiques, le cercle arctique renfermerait 30% des réserves de gaz et 13% des réserves de pétrole non encore exploitées de la planète.

«C'était notre opinion que les Canadiens n'avaient pas besoin de la sécurité qu'offrait une participation au système de bouclier antimissile dans le passé», a affirmé M. Harper en point de presse jeudi.

«Évidemment, il y a des changements qui se passent dans le monde et nous allons examiner si cela sert ou ne sert pas les intérêts des Canadiens et nous allons prendre les décisions qui sont dans les meilleurs intérêts pour la sécurité des Canadiens. Mais en ce moment, nous n'avons pas décidé de revoir notre position».

Comité sénatorial



Or, il se trouve qu'un comité permanent du Sénat de la sécurité nationale et de la défense étudie cette épineuse question depuis février. Ce comité a tenu des audiences à Ottawa, a rencontré de nombreux experts et doit déposer son rapport final et ses recommandations d'ici la fin de la session parlementaire, au plus tard à la fin juin.

Ce comité, composé majoritairement de sénateurs conservateurs, sera-t-il tenté de recommander au gouvernement Harper d'infirmer la décision des libéraux de Paul Martin? La réponse à cette question tombera sous peu.

Mais deux anciens ministres de la Défense dans le gouvernement Martin, David Pratt et Bill Graham, ont récemment fait un vibrant plaidoyer en faveur d'une participation du Canada à ce programme devant ce même comité.

«Selon moi, il faut revenir sur cette décision», a notamment affirmé Bill Graham. «Je croyais alors que nous devions participer à la défense antimissiles balistiques, et je le crois encore. Notre participation à la défense antimissiles balistiques contribuerait à préserver NORAD et l'ensemble des relations entre le Canada et les États-Unis dans le domaine de la sécurité.

«En outre, notre participation nous permettrait, selon moi, d'avoir notre mot à dire dans la création et l'utilisation du système DMB, ce qui renforcerait notre souveraineté, au lieu l'affaiblir».

David Pratt a ajouté: «En ne participant pas pleinement au système de défense antimissiles, nous risquons d'avoir un manque d'uniformité en ce qui concerne non seulement notre politique relative à l'OTAN, mais également notre politique en matière de défense de base. Je crois que nous devons corriger la situation, ce que nous pourrions accomplir en participant pleinement au système de défense antimissiles. Selon moi, cela continue d'être le chaînon manquant en ce qui a trait à la politique de défense du Canada.»

Militarisation de l'espace



Les stratèges libéraux affirment que la position du Parti libéral demeure la même malgré la sortie de MM. Pratt et Graham.

Pour sa part, le NPD continue de s'opposer à ce projet parce que cela entraînerait selon lui une militarisation de l'espace. La Presse a appris que les troupes de Thomas Mulcair pourraient forcer la tenue d'un débat et d'un vote aux Communes sur cette question la semaine prochaine à la suite des témoignages des anciens ministres libéraux et des déclarations du premier ministre.

Ce faisant, ils pourraient obliger les conservateurs à préciser leurs intentions plus rapidement qu'ils ne l'auraient souhaité alors qu'on se rapproche d'une campagne électorale.