(Ottawa) Le Canada s’apprête à se doter de sa première législation contre le racisme environnemental. Le projet de loi C-226 de la cheffe du Parti vert, Elizabeth May, fera bientôt l’objet d’un dernier vote au Sénat. Il vise à éviter que des sites toxiques soient installés près des collectivités autochtones, des collectivités racisées ou marginalisées.

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement fédéral s’apprête à reconnaître le racisme environnemental dans la législation, une première au Canada.

Ce faisant, il reconnaît que les communautés autochtones, racisées ou marginalisées sont touchées de façon disproportionnée par les rejets industriels toxiques.

Le gouvernement se dotera d’une stratégie nationale pour contrer ce phénomène.

« Il y a plusieurs exemples ici au Canada, dans les communautés autochtones particulièrement, mais aussi dans les communautés noires », affirme Mme May en entrevue. « J’espère qu’avec le projet de loi, elles vont avoir plus de pouvoir pour refuser les déchets et la pollution rejetés par les autres communautés. »

Il y a la contamination au mercure de la Première Nation de Grassy Narrows dans le nord de l’Ontario causée par des rejets d’eaux usées d’une usine de pâtes et papiers, les usines pétrochimiques qui entourent celle d’Aamjiwnaang dans le sud de l’Ontario, le gazoduc Coastal GasLink qui traverse les terres des Wet’suwet’en en Colombie-Britannique, l’ancien site d’enfouissement qui a pollué la communauté noire de Shelburne en Nouvelle-Écosse pendant 75 ans et même le dépotoir illégal de Kanesatake, au Québec, qui, bien qu’il appartienne à deux membres de la communauté, a longtemps fait face à l’inaction des autorités.

« Où est le ministère de l’Environnement ? Où est le ministère des Pêches ou le ministère de la Santé ? demande Mme May. C’est une situation tout à fait différente seulement parce que c’est une communauté autochtone qui n’a pas le pouvoir d’exiger que le gouvernement fasse l’essentiel pour protéger sa santé et protéger sa propre sécurité. »

On ne connaît pas le nombre de collectivités au pays touchées par ce phénomène, mais un projet pour les cartographier est en cours, indique la professeure de l’Université McMaster Ingrid Waldron, qui étudie la question depuis 12 ans.

Le principe de justice environnementale est reconnu par l’Agence environnementale des États-Unis (EPA) depuis 20 ans. L’ex-président Bill Clinton avait signé un décret en 1994 pour lutter contre les effets néfastes et disproportionnés de la pollution sur les minorités et les populations à faibles revenus.

Les communautés les plus touchées ne font jamais partie des discussions. Elles ne sont pas invitées à participer à la prise de décision, à l’élaboration des politiques par les organismes de réglementation, aux commissions, etc.

Ingrid Waldron, professeure à l’Université McMaster

Le projet de loi vise à leur redonner une voix avec l’élaboration d’une stratégie nationale pour contrer ce phénomène et les impacts négatifs qu’il a sur leur santé. Le ministère de l’Environnement a déjà lancé des consultations et la professeure Waldron participera aux travaux à titre de consultante. Le projet de loi prévoit également la réalisation d’une étude et l’indemnisation des personnes et des communautés touchées dont le montant reste à être déterminé.

« Ce qu’on cherche à faire, c’est à donner à ces communautés-là plus d’outils pour être en mesure de faire valoir leurs droits, notamment par rapport à la qualité de l’environnement », a indiqué le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, en mêlée de presse mercredi.

Il avait appuyé le projet de loi C-226 qu’il considère comme un complément à la réforme de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement adoptée l’an dernier qui inclut le droit à un environnement sain. Une première mouture du projet de loi avait été présentée par la députée libérale Lenore Zann en 2020, mais était morte au feuilleton. Celle-ci avait ensuite perdu son siège en 2021.

Conservateurs et bloquistes contre

Le texte législatif était toutefois loin de faire l’unanimité à la Chambre des communes. Il a obtenu l’appui des libéraux et des néo-démocrates lors du vote en troisième lecture, mais les conservateurs et les bloquistes s’y sont opposés pour des raisons différentes.

« Nous avons déjà un cadre réglementaire compliqué pour ce qui est de la réalisation des projets au Canada », avait fait valoir le député conservateur de l’Ontario Kyle Seeback, lors des débats en chambre. En comité parlementaire, son collègue Gérard Deltell avait rappelé que le projet d’oléoduc Northern Gateway de l’Alberta vers la Colombie-Britannique avait l’appui de plusieurs communautés autochtones avant qu’il soit stoppé par le gouvernement en 2016.

Le Bloc québécois aurait préféré que le concept de racisme environnemental soit remplacé par celui de justice environnementale. « Si nous instituons de nouvelles politiques fondées sur de nouveaux droits, tel le droit à un environnement sain, tout le monde devrait en jouir, sans exception », avait argumenté la députée Monique Pauzé.

Elle avait donné à titre d’exemple le quartier de Limoilou, à Québec, où les résidants respirent les poussières générées par le transbordement de minerais au port de Québec, de compétence fédérale, peu importe leur origine ethnique. « La particularité de ce quartier est d’avoir des revenus très bas », avait-elle souligné.

Difficile de prévoir l’impact que ce projet de loi pourrait avoir sur le développement de l’énergie nucléaire préconisée par le gouvernement. Le projet de site d’enfouissement de la centrale de Chalk River pour disposer de ses déchets radioactifs avait fait l’objet d’une vive opposition de la part de différentes nations autochtones.