(Ottawa) Ottawa met fin à l’impasse dans le dossier du dépotoir illégal de Kanesatake et se range du côté des chefs dissidents. L’évaluation des contaminants sur le site doit débuter dès que possible et ce sera le Conseil tribal W8banaki qui s’en chargera, écrit la ministre Patty Hajdu dans une lettre dont La Presse a obtenu copie. Le dossier traîne depuis des années en raison d’un conflit interne au sein du Conseil de bande.

« Il demeure urgent de prendre action afin que les travaux de caractérisation du site puissent démarrer dès le printemps 2024, écrit la ministre des Services aux Autochtones. Tout délai supplémentaire accroît le risque que ces travaux soient interrompus par l’arrivée de l’hiver, repoussant ainsi significativement les travaux subséquents sur le site. »

Ces travaux doivent également inclure la mitigation de l’odeur nauséabonde qui se dégage du dépotoir durant l’été, selon une source bien au fait du dossier. Il s’agit d’une première étape qui mènerait éventuellement à la décontamination du terrain dont le coût est estimé à 100 millions par le gouvernement du Québec. Ottawa n’a jamais avancé de montant.

« Je compte sur votre collaboration pour que ces travaux démarrent dès que possible ce printemps, et pour tenter de trouver un terrain d’entente avec les actionnaires de l’entreprise afin qu’ils permettent l’accès au site », ajoute Mme Hajdu.

La lettre a été envoyée aux membres du Conseil de bande il y a environ une semaine.

« Une décision unilatérale » prise sans que l’ensemble de la communauté soit consultée, dénonce en entrevue le grand chef Victor Bonspille. Il est furieux de voir la ministre se ranger du côté des chefs dissidents et met en doute le choix de W8banaki. « Je n’ai jamais vu quelque description que ce soit de travaux qu’ils ont déjà réalisés sur des terrains contaminés », ajoute-t-il.

Il aurait préféré retenir les services de Sanexen, une entreprise de Brossard spécialisée dans la restauration de site et la gestion de sol contaminé.

Crise au Conseil de bande

Kanesatake est aux prises avec le site de G & R Recyclage, un dépotoir illégal d’où s’écoule une eau toxique, mais les sept dirigeants ne s’entendent pas sur la façon de remédier à la situation.

Des enquêtes de La Presse l’an dernier avaient permis de constater que cette eau brunâtre dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons. Le dépotoir pollue ainsi les cours d’eau de la communauté et des municipalités avoisinantes, en plus de générer des odeurs nauséabondes. G & R Recyclage appartient aux frères Robert et Gary Gabriel, qui traînent tous deux un lourd passé criminel.

Le Conseil de bande est divisé en deux factions. D’un côté, il y a le grand chef Victor Bonspille et sa sœur jumelle Valerie Bonspille ; de l’autre, les cinq autres chefs, dont l’ancien grand chef Serge Otsi Simon. La Presse n’a pas réussi à le joindre vendredi. La ministre Hajdu leur avait proposé en janvier l’aide d’un médiateur, sans succès.

Les chefs dissidents, qui ont la majorité, voulaient aller de l’avant avec W8banaki, mais ils demandaient également l’assurance du gouvernement fédéral qu’il assumera complètement les frais de nettoyage du site.

W8banaki est le Conseil tribal des bandes abénakises d’Odanak et de Wôlinak, dans le Centre-du-Québec. Il offre divers services techniques aux communautés autochtones et aux municipalités. Les deux factions sont également en désaccord sur le transfert du titre de propriété du site au Conseil de bande.

Des acteurs régionaux se questionnent

Le député bloquiste de Mirabel, Jean-Denis Garon, s’interroge lui aussi sur le choix de W8banaki. « Il me semble à première vue que ce ne soit pas le genre d’expertise extrêmement avancée qu’une entreprise comme W8banaki possède, a-t-il fait valoir. Ce serait un chantier d’ingénierie majeur pour la décontamination, alors on peut être sceptique et on posera des questions au cabinet de la ministre, évidemment. »

W8banaki doit tenir une réunion lundi sur les travaux qu’elle entamera sur le site de G & R Recyclage et a offert de répondre aux questions de La Presse par la suite. La ministre Hajdu écrit dans sa lettre que son ministère « a collaboré à plusieurs reprises » avec le Conseil tribal et que le ministère des Services aux Autochtones lui « versera incessamment le financement nécessaire ».

Le maire d’Oka, Pascal Quevillon, s’étonne que sa municipalité n’ait pas été consultée par le gouvernement fédéral étant donné que les eaux toxiques du dépotoir s’y écoulent.

Je serais curieux de savoir la façon de procéder qui a été retenue parce qu’on n’a pas du tout été avisés de ça, a-t-il réagi. Vous me l’apprenez aujourd’hui.

Pascal Quevillon, maire d’Oka

Il espère que « les déchets vont être amenés dans un endroit approprié ». « Pour arrêter l’hémorragie, il faut sortir les débris de là et s’assurer que ça ne se reproduise pas », a-t-il ajouté.

Les frères Gabriel avaient obtenu l’autorisation, en 2015, du ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques d’exploiter un centre de tri de matériaux de construction sur le site situé à l’extrémité nord du territoire mohawk, enclavé entre des terres agricoles d’Oka, de Mirabel et de Saint-Placide.

Avec Tristan Péloquin, La Presse

L’histoire jusqu’ici

2015

Le ministère de l’Environnement du Québec autorise le centre de tri G & R Recyclage à s’implanter sur le territoire mohawk de Kanesatake malgré le lourd passé criminel de ses propriétaires, les frères Robert et Gary Gabriel.

2017

Les frères Gabriel élargissent leur dépotoir illégalement. Des milliers de tonnes de détritus sont déversés à un endroit inadapté, traversé par des cours d’eau naturels.

2020

Le ministère de l’Environnement du Québec révoque le certificat d’autorisation permettant l’exploitation du centre de tri G & R Recyclage. Les propriétaires s’en tirent avec une amende.

Octobre 2023

La tension monte au Conseil de bande de Kanesatake après l’adoption d’une motion de censure proposée par le grand chef Victor Bonspille pour exclure cinq chefs d’une faction opposée.

Mai 2024

Le gouvernement fédéral met fin à l’impasse et annonce qu’il financera le Conseil tribal W8banaki pour procéder à l’évaluation des contaminants sur le site.