(Ottawa) Des sommes colossales seraient nécessaires pour atteindre l’objectif de la Stratégie nationale sur le logement de réduire l’itinérance chronique de 50 % d’ici 2027-2028. C’est ce que constate le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, dans un rapport dévoilé mercredi. Celui-ci a découvert avec étonnement que la part fédérale est très peu élevée par rapport à celle versée par les gouvernements provinciaux et les municipalités.

« Ce qu’on voit, c’est que les dépenses fédérales sont une faible partie des dépenses totales – combinées fédérales-provinciales – pour lutter contre l’itinérance, mais que l’objectif de la réduire de 50 % va être très difficile à atteindre sans une augmentation massive des dépenses publiques », explique-t-il en entrevue.

M. Giroux estime que le gouvernement devrait injecter 3,5 milliards annuellement pour y parvenir, soit une somme sept fois plus importante que le financement actuel du programme Vers un chez-soi. Le programme finance des mesures d’aide au logement aux personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir. Actuellement, la majeure partie des 561 millions de dollars alloués annuellement à la Stratégie nationale sur le logement y sont affectés. « Ce financement devrait être permanent et indexé sur l’inflation », écrit-il dans son rapport.

Il note que ce programme réussit à réduire le dénombrement ponctuel de sans-abri d’environ 6000 à l’échelle du pays, soit 15 %. Or, leur nombre a augmenté de 20 % entre mars 2020 et décembre 2022 par rapport à 2018, selon les données d’Infrastructure Canada.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux

Ce qu’on semble tous collectivement perdre de vue, c’est que ce sont les provinces et dans plusieurs cas les municipalités aussi qui ont la part du lion en matière de dépenses pour la lutte contre l’itinérance.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget

Il s’appuie sur une évaluation du ministère de l’Emploi et du Développement social publiée en 2018, selon laquelle le financement fédéral avait seulement couvert 7,1 % des dépenses en matière de lutte contre l’itinérance. Les provinces et les municipalités ont dépensé 13,02 $ par dollar versé par le fédéral. L’analyse a été faite pour l’année financière 2015-2016.

« Le phénomène de l’itinérance ne prend pas juste racine dans le manque d’argent en intervention, mais bien sûr les causes structurelles qui génèrent de l’itinérance », rappelle le directeur général du Réseau Solidarité itinérance du Québec (RSIQ), Boromir Vallée Dore.

La hausse du coût du logement, la pauvreté, les évictions n’en sont que quelques exemples. Le RSIQ représente plus de 200 organismes un peu partout au Québec.

Et la somme annuelle de 3,5 milliards avancée par le directeur parlementaire du budget est insuffisante pour lutter contre l’itinérance, selon lui, puisqu’il y a déjà « une sous-représentation du phénomène ». Le dénombrement sous-évalue le nombre de sans-abri et la définition utilisée par le gouvernement fédéral est plus restreinte que celle du Québec qui inclut, par exemple, les femmes victimes de violence.

« Gouvernement obèse »

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a accusé le gouvernement d’avoir alimenté la hausse des prix en injectant constamment de l’argent dans l’économie. « Quand va-t-il reconnaître qu’un grand gouvernement obèse à Ottawa ne va jamais mettre fin à l’itinérance ? », a-t-il demandé lors de la période des questions.

« C’est des investissements que ça prend. Or, lui ne propose que des coupes et de l’austérité pendant que les Canadiens souffrent », a rétorqué le premier ministre Justin Trudeau.

Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont appelé le gouvernement à délier les cordons de la bourse.

« On trouve ça très inquiétant et on demande au gouvernement fédéral évidemment d’augmenter les transferts aux provinces et au Québec pour qu’on puisse faire en sorte d’améliorer le sort de ces personnes-là », a réagi le leader parlementaire bloquiste, Alain Therrien.

« Les libéraux ont encore brisé leur promesse de réduire l’itinérance », a fait valoir le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh.

Le gouvernement libéral et Justin Trudeau doivent agir pour construire du logement abordable [et] du logement social pour faire face à ce grand problème partout au pays.

Jagmeet Singh, chef du NPD

Le dernier budget fédéral prévoit 1,04 milliard de dollars supplémentaires sur quatre ans pour le programme Vers un chez-soi, dont 250 millions sur deux ans pour régler le problème des campements de sans-abri à condition que les provinces et les territoires versent une somme équivalente. Ces montants pourraient être bonifiés au besoin.

« Je ne vais pas dire que nous n’allons pas faire plus si nous avons besoin de faire plus », a affirmé le ministre du Logement, Sean Fraser.

Il a rappelé du même souffle que le gouvernement tente de s’attaquer au problème sur plusieurs fronts, notamment en construisant des logements abordables.

M. Fraser a reconnu que le moratoire de trois ans que le gouvernement du Québec veut imposer sur les évictions peut aider à lutter contre l’itinérance, mais n’a pas voulu commenter davantage.