(Ottawa) Le gouvernement Trudeau confirme finalement son intention de créer un registre des agents d’influence étrangers et accorde de nouveaux pouvoirs au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) afin de mieux contrer les « manœuvres trompeuses et clandestines » menées au pays par des régimes autoritaires comme la Chine.

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a déposé lundi un projet de loi contenant un train de mesures visant à combattre cette menace, trois jours seulement après que la commissaire Marie-Josée Hogue eut déposé son rapport initial sur l’ingérence étrangère.

Dans son rapport de 227 pages, la commissaire soutient qu’il ne fait aucun doute que des États étrangers se sont livrés à des activités d’ingérence étrangère lors des élections générales de 2019 et de 2021. Mais ces manœuvres menées principalement par la Chine n’ont pas affecté les résultats de ces deux scrutins.

L’une des principales mesures du projet de loi C-70, la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, est la création d’un fameux registre. Le gouvernement Trudeau emboîte ainsi le pas à ses principaux alliés, et s’inspire largement des régimes en vigueur aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, tout en y ajoutant une couleur canadienne.

En effet, Ottawa va confier la gestion du registre à un commissaire indépendant à la transparence en matière d’influence étrangère, comme le révélait La Presse en février. Le commissaire aura le mandat non seulement de faire la promotion du registre, mais de veiller à ce que ceux qui font fi de leurs obligations rendent des comptes. Il aura des pouvoirs d’enquête semblables à ceux d’un tribunal. Le commissaire sera nommé pour un mandat de sept ans et sa nomination devra être approuvée par les partis reconnus à la Chambre des communes et au Sénat.

Le projet de loi prévoit que toute personne qui se livre à des activités au nom d’un État étranger ou d’une entreprise étatique pour influencer un gouvernement ou « un processus politique » soit tenue d’enregistrer publiquement ses activités dans un délai de 14 jours.

Le projet de loi ratisse large quand il est question d’un gouvernement : cela comprend le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et municipaux, et même les conseils scolaires et les conseils de bande des Premières Nations. Cela comprend aussi toute démarche visant à influencer les assemblées d’investiture des partis politiques et les campagnes électorales.

Des sanctions allant d’amendes à une peine d’emprisonnement sont aussi prévues pour ceux qui feraient fi du registre ou qui fourniraient de faux renseignements.

Les diplomates en poste au pays, les hauts fonctionnaires d’un pays étranger en voyage officiel au Canada ainsi que les représentants d’entreprises privées en mission au pays ne seront pas soumis aux dispositions du registre.

« Notre gouvernement a été clair. Nous ne tolérerons aucune forme d’ingérence étrangère malveillante sur le sol canadien. La Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère va moderniser notre boîte à outils visant à protéger nos citoyens et notre démocratie tout en défendant les valeurs et les principes canadiens », a affirmé le ministre LeBlanc en donnant les détails de son projet de loi.

Le projet de loi C-70 accorde aussi de nouveaux pouvoirs au SCRS pour tenir compte du contexte de l’ingérence étrangère à l’ère numérique. Dès l’entrée en vigueur de la loi, le SCRS pourra obtenir des mandats de perquisition pour mener à bien ses enquêtes, et il pourra recueillir, à partir du Canada, des renseignements qui se trouvent à l’extérieur du pays.

En outre, le SCRS pourra communiquer des informations privilégiées à des personnes ou des organisations qui n’ont pas de lien avec le gouvernement fédéral, afin de les aider à mieux se prémunir contre les menaces. La loi créant le SCRS, qui n’a jamais été modernisée depuis son adoption il y a quatre décennies, indiquait que cette agence ne pouvait communiquer qu’avec le gouvernement fédéral.

Également, le gouvernement Trudeau inscrit dans le projet de loi un examen tous les cinq ans de la Loi sur le SCRS de sorte que le mandat et les outils de l’agence puissent évoluer au même rythme que les menaces.

En conférence de presse en compagnie du ministre LeBlanc, le ministre de la Justice, Arif Virani, a soutenu que le projet de loi modifie trois autres lois existantes : la Loi sur la protection de l’information, la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel. Il a affirmé que les changements proposés respectent en tout point la Charte des droits et libertés.

« Les dispositions législatives ont été élaborées de façon à n’enfreindre aucun droit garanti par la Charte », a-t-il insisté.

Le ministre LeBlanc a dit souhaiter que le projet de loi soit adopté rapidement par la Chambre des communes et le Sénat afin qu’il entre en vigueur avant les prochaines élections fédérales, prévues en octobre 2025. Dans le projet de loi, on prévoit que le registre soit mis en œuvre un an après la sanction royale.