(Québec) La pérennité du territoire agricole du Québec est mise à risque en raison de la perte de superficie cultivée, de la diminution de meilleures terres, du manque de relève agricole, mais aussi du développement lié à la transition énergétique et à la crise du logement, prévient la commissaire au développement durable.

Ce qu’il faut savoir

  • Avec la crise du logement, la soif énergétique du Québec et la hausse de la valeur foncière des terres agricoles, le territoire agricole est à risque.
  • Le MAPAQ n’a pas d’indicateur lui permettant de savoir s’il protège bel et bien les terres agricoles.
  • La Commission de protection du territoire agricole ne documente pas l’impact cumulatif des passe-droits qu’elle donne à ceux qui veulent empiéter sur les terres agricoles, et a peu de mordant lorsqu’elle doit intervenir pour punir un contrevenant.

« Nos travaux démontrent que les interventions du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) sont insuffisantes pour assurer la protection et la mise en valeur du territoire agricole », conclut la commissaire au développement durable, Janique Lambert, dans son rapport déposé jeudi à l’Assemblée nationale.

Elle ajoute que les activités de surveillance réalisées par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) « ne permettent pas de protéger efficacement la zone agricole ».

Il est pourtant urgent d’agir, car la pression sur le territoire agricole va augmenter pour plusieurs raisons, prévient-elle :

  • Les changements climatiques
  • Le développement lié à la transition énergétique
  • Le manque de logements

« Ces enjeux pourraient avoir un impact considérable sur l’utilisation du territoire agricole », s’inquiète Mme Lambert.

IMAGE FOURNIE PAR LA COMMISSAIRE AU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Patrimoine collectif

Il est pourtant nécessaire de protéger ces terres, souligne Mme Lambert, car « le territoire agricole est un patrimoine collectif » et les terres agricoles qui s’y trouvent « constituent une ressource limitée et non renouvelable ». « [Elles sont] essentielles à l’autonomie alimentaire de la population et au développement du secteur bioalimentaire », souligne-t-elle.

Or, ces terres sont menacées, notamment par « l’enfrichement et les pressions exercées par le développement urbain », l’accroissement de leur valeur foncière ainsi que d’autres enjeux en émergence, « comme les changements climatiques ou les besoins énergétiques ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Selon les données du MAPAQ, environ 2,1 millions d’hectares de terres de la zone agricole étaient cultivés ou en pâturage et 0,3 million d’hectares étaient utilisés à des fins acéricoles en 2022. C’est donc le tiers de la zone agricole qui serait en culture.

Pendant ce temps, le MAPAQ « n’a pas mis en place un processus rigoureux pour évaluer l’efficacité de ses interventions et l’effet de celles des acteurs impliqués dans la protection du territoire agricole et sa mise en valeur », et il ne détient « aucun indicateur ni cible permettant de mesurer la performance des actions mises en œuvre ».

La commissaire déplore que le MAPAQ « utilise peu ses programmes d’aide pour amener les bénéficiaires à mettre en valeur le territoire, pour répondre aux enjeux qui menacent la pérennité du territoire et pour favoriser l’établissement de la relève agricole », et qu’il « recourt peu à la législation et n’a pas constitué de banque de terres arables ».

Elle n’est pas la première à tirer la sonnette d’alarme. Elle souligne que d’autres avant elle ont attiré les projecteurs sur cette question :

  • 2008 : Rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (rapport Pronovost)
  • 2015 : Rapport de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) sur le phénomène de l’accaparement des terres agricoles
  • 2020 : Rapport sur l’avenir de la protection du territoire agricole du Québec (Institut Jean-Garon)
  • 2023 : Plan de mise en œuvre 2023-2027 de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire

Données incomplètes

Janique Lambert souligne que les données que le MAPAQ recueille sur les terres agricoles sont « incomplètes ». « Elles ne présentent l’information que pour les exploitations agricoles enregistrées. Ces dernières occupent environ 50 % de la zone agricole », souligne-t-elle.

La Commission de protection du territoire agricole du Québec ne dispose pas d’un portrait d’ensemble des différents usages non agricoles présents dans la zone agricole et ne documente pas l’impact cumulatif de ses autorisations accordées à des fins autres que l’agriculture.

Extrait du rapport

De plus, la CPTAQ « se base presque exclusivement sur les dénonciations qu’elle reçoit » pour faire de la surveillance, et a peu de mordant lorsqu’il faut intervenir. « Seul un jugement d’outrage au tribunal rendu par la Cour supérieure au terme du processus peut donner lieu à d’éventuelles sanctions en lien avec les infractions reprochées dans cette ordonnance. »

Dans un autre chapitre de son rapport, la commissaire s’inquiète également de la détérioration de la qualité des sols, avec l’agriculture intensive et l’usage de pesticides.

Près de 3 milliards de dépenses sans indicateurs sur « les effets escomptés »

Le Fonds vert a versé près de 3 milliards de dollars pour financer des initiatives de lutte contre les changements climatiques sans avoir d’indicateurs pour connaître leur effet, a également révélé la commissaire dans son rapport.

« Il manque encore des indicateurs d’effets et des cibles pour être en mesure de dire […] si ça a donné les effets escomptés. Et pour près de 3 milliards de dollars du fonds, il n’y a pas encore d’indicateurs de cet ordre », a affirmé la commissaire au développement durable, Janique Lambert, en point de presse jeudi.

En 2022, Mme Lambert soulignait déjà que la « quasi-totalité » des actions financées par le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) n’avaient « pas d’indicateurs ni de cibles adéquates ». Elle ajoutait que la politique énergétique du gouvernement comportait tellement de lacunes qu’elle risquait de « compromettre la transition énergétique du Québec ».

La situation ne s’est pas beaucoup améliorée depuis. Seul le quart des recommandations ont été mises en application.