(Québec) Québec s’était engagé à ne pas hausser les impôts pour sortir du trou, mais le budget fédéral a changé la donne du tout au tout. Il emboîte le pas à Ottawa et augmente l’imposition des gains en capital, ce qui lui rapportera 3 milliards de dollars en cinq ans selon ses estimations.

Le ministre des Finances, Eric Girard, l’a confirmé par voie de communiqué jeudi après-midi : « le gouvernement annonce qu’il ajustera le régime fiscal québécois pour l’harmoniser avec certaines mesures proposées dans le budget fédéral », dont l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital.

« Notre volonté demeure de réduire globalement le fardeau fiscal des contribuables tout en maintenant une saine gestion des finances publiques », soutient-il.

Le gain en capital est le revenu tiré de la vente d’un bien qui a pris de la valeur comme une résidence secondaire, un chalet, un plex ou des actions (la résidence principale est exclue aux fins de l’impôt). À l’heure actuelle, on paie de l’impôt, au fédéral comme au provincial, sur la moitié des gains en capital. C’est un traitement préférentiel comparativement à celui appliqué aux revenus de travail.

En vertu du budget fédéral déposé mardi, dès le 25 juin prochain, le taux d’inclusion – la portion des gains en capital qui est imposable – passera de la moitié (50 %) aux deux tiers (66,7 %) pour tout ce qui dépasse 250 000 $.

« Régressif »

Mercredi, au lendemain du dépôt du budget fédéral, Eric Girard rappelait que Québec a toujours suivi Ottawa lors de changements touchant l’imposition des gains en capital, tant pour les particuliers que pour les sociétés. Toutes les autres provinces le feront d’ailleurs, insistait-il pour préparer le terrain à sa décision de jeudi.

Il avait servi le même argument lorsqu’on lui avait rappelé son engagement de ne pas augmenter les impôts pour retrouver l’équilibre budgétaire, promesse qu’il avait faite le 12 mars lors du dépôt de son budget déficitaire de 11 milliards. Il avait fait valoir la nécessaire « cohésion fiscale » entre les régimes provincial et fédéral.

Quelques heures avant l’annonce de M. Girard, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, avait expliqué que son collègue pouvait difficilement ne pas suivre Ottawa.

Augmenter l’imposition sur les gains en capital permettra de récolter 600 millions de dollars par année – qui seront payés par environ 10 000 personnes selon lui –, alors que le déficit structurel du Québec s’élève à 4 milliards annuellement.

« Est-ce qu’on reste insensible à ça ? Mettez-vous à la place du ministre des Finances, M. Girard, qui doit aller voir les agences de crédit au mois de mai. Et on dit : “Le fédéral fait ça, nous, on ne le fait pas” ? », a-t-il expliqué lors de l’étude des crédits de son ministère, jeudi, à l’Assemblée nationale. « Il y a une rigueur financière qu’on doit avoir en tête avant de dire : “Non, on n’harmonise pas.” »

Son vis-à-vis libéral, Frédéric Beauchemin, s’oppose à cette hausse d’impôt. Il estime que le Québec devrait faire bande à part et ne pas suivre Ottawa.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Frédéric Beauchemin

« Cette taxe-là est une taxe contre l’innovation, contre la productivité, une taxe contre l’entrepreneuriat. C’est très régressif comme système », a déploré M. Beauchemin, qui s’inquiète pour les jeunes PME et les propriétaires de triplex.

« Harmonisation »

Pierre Fitzgibbon s’est montré davantage sensible aux entrepreneurs qui souhaitent vendre ou léguer leur entreprise. « Il y a toute la question des gains en capitaux sur les investissements en actions ou pour les chalets, je suis un peu moins sensible à ça. Je suis plus sensible aux PME. »

Sa préoccupation immédiate concerne le « reprenariat ». « J’étais avec 50 entrepreneurs, plusieurs ont mentionné que ça va avoir un impact sur le transfert ou la vente d’entreprise. Il va falloir y réfléchir », a dit M. Fitzgibbon. « S’il y a harmonisation, on va devoir regarder quel est l’impact pour les PME et s’il faut un programme spécifique pour contrecarrer ça. »

De son côté, le Parti québécois a déjà proposé un taux d’inclusion à 100 % en 2012, mais ce n’est plus le cas. « À partir du moment où on décide de ne pas le faire puis qu’on ne le met pas dans le programme de l’élection, bien, ça n’existe plus pour nous », avait dit le député Joël Arseneau mercredi. M. Bérubé a ajouté jeudi : « On n’a pas de position, mais on vous reviendra. »

Québec solidaire est favorable à la hausse de l’imposition sur les gains en capital.

Lors des élections de 2012, la Coalition avenir Québec avait promis d’augmenter l’imposition des gains en capital, en faisant passer le taux d’inclusion de 50 % à 75 %.

« Pour être capables de financer nos mesures, on demande un effort à tout le monde, entre autres à ceux qui sont un peu plus fortunés », avait dit son chef, François Legault. Cet engagement a par la suite disparu de la liste des promesses caquistes.

Dans une lettre publiée par La Presse récemment, les professeurs Antoine Genest-Grégoire (Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke) et Olivier Jacques (chercheur au CIRANO) ont écrit que « 82 % des gains en capital sont générés par les 10 % les plus riches et 57 % par le top 1 % ».

En 2015, la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, créée par le gouvernement Couillard et présidée par le fiscaliste Luc Godbout, avait recommandé de « revoir le mode d’imposition des gains en capital » afin d’augmenter la ponction fiscale. « Cette révision viserait à traiter plus équitablement les gains en capital, comparativement aux autres sources de revenus », peut-on lire dans son rapport. La Commission ajoutait que Québec devrait se coordonner avec Ottawa pour appliquer une telle mesure.

RÉACTION

Cette mesure va nuire à l’investissement des entreprises manufacturières, ce qui n’est pas souhaitable alors que nous traversons une période économique difficile et que les entreprises doivent investir pour se moderniser et se décarboner. Le gouvernement doit faire preuve de plus de cohérence et stimuler les investissements pour augmenter la compétitivité des entreprises et générer davantage de revenus pour l’État. Actuellement, en augmentant le fardeau fiscal des entreprises, il fait tout le contraire.

Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec