(Ottawa) Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, lance un avertissement sans équivoque au gouvernement Trudeau : il est hors de question que Québec laisse le champ libre à Ottawa pour créer un régime d’assurance médicaments sur son territoire.

La seule option qui s’offre au gouvernement libéral minoritaire, s’il tient mordicus à créer un tel programme dans le reste du pays, comme il doit le faire s’il veut continuer d’obtenir l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD) à la Chambre des communes, est d’offrir une pleine compensation financière sans condition au Québec, a affirmé le ministre Dubé dans une entrevue avec La Presse.

M. Dubé a indiqué avoir donné le même avertissement de vive voix à son homologue fédéral, Mark Holland, il y a trois semaines durant une rencontre à Montréal. Il lui a aussi rappelé que Québec dispose déjà d’un programme d’assurance médicaments depuis près de trois décennies.

Tandis que les intentions du gouvernement Trudeau se précisent davantage et qu’un projet de loi visant à jeter les bases d’un régime universel d’assurance médicaments à l’échelle du pays doit être déposé aux Communes dès jeudi, M. Dubé a tenu à réaffirmer haut et fort la position du Québec.

« Nous avons quand même des droits constitutionnels », a martelé le ministre Dubé en entrevue. « Nous, ce que l’on veut, c’est une pleine compensation financière et sans condition. »

Nous n’avons aucun problème à rajouter cet argent dans le programme d’assurance médicaments. Mais il faut que ce soit sans condition. Ce n’est pas à eux de venir décider la meilleure couverture des médicaments pour les Québécois.

Christian Dubé, ministre de la Santé du Québec

Au terme de plusieurs semaines de négociations, le gouvernement Trudeau et le NPD ont réussi à aplanir vendredi dernier leurs différends sur les grandes lignes d’un projet de loi visant à jeter les bases d’un régime universel d’assurance médicaments, écartant du coup la possibilité d’un appel aux urnes en 2024.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, exigeait le dépôt d’un tel projet de loi au plus tard le vendredi 1er mars, à défaut de quoi l’entente paraphée entre lui et Justin Trudeau devant assurer la survie politique du gouvernement libéral jusqu’en juin 2025 ne tenait plus.

Refus en Alberta, indifférence en Ontario

Dans ce projet de loi, tout indique qu’Ottawa va s’engager à entreprendre des négociations avec les provinces au cours de l’année. Dans l’immédiat, il va proposer de payer deux catégories de médicaments, soit les contraceptifs et la plupart des médicaments destinés à traiter le diabète de types 1 et 2. Selon Jagmeet Singh, ce projet de loi va constituer « le premier grand pas » vers la création d’un régime universel d’assurance médicaments.

En coulisses, le NPD a affirmé que le Québec devrait avoir un droit de retrait avec pleine compensation. Mais le ministre Holland ne s’est pas avancé aussi loin.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, de passage à Laval la semaine dernière

En entrevue, le ministre Dubé a qualifié « d’étrange choix politique » la décision d’Ottawa d’aller de l’avant, malgré le peu d’intérêt de plusieurs provinces. À l’instar du Québec, l’Alberta a fait savoir qu’elle ne veut rien savoir de la démarche fédérale, tandis que l’Ontario a aussi déjà exprimé la même indifférence dans le passé. La facture d’un tel programme national pourrait atteindre 13,4 milliards de dollars par année pour Ottawa et les provinces, selon les calculs du Directeur parlementaire du budget.

« Non seulement on refuse de nous donner l’argent qu’on a demandé pour les transferts fédéraux en santé, mais on veut s’immiscer dans un champ de compétence du Québec. Le gouvernement fédéral sait très bien que c’est un domaine de compétence provinciale. On a déjà notre propre programme d’assurance médicaments depuis 1997. Cela fait presque 30 ans. On a aussi probablement la gamme la plus étendue de toutes les provinces canadiennes de ce qui est couvert », a exposé le ministre.

Il a souligné que 45 % de la population québécoise a droit à une assurance médicaments par l’entremise du régime public et que 55 % des Québécois ont des assurances privées.

« Peu importe la couverture que vous avez, c’est la même liste de médicaments qui est prescrite. Donc, on est conscients que c’est probablement le meilleur régime au Canada en ce moment. »

Pas d’accord avec Jagmeet Singh

Christian Dubé s’est aussi insurgé contre les propos du chef du NPD, Jagmeet Singh, qui a affirmé lundi que le Québec avait sabré son budget en matière de santé. Il a d’ailleurs invité le chef du NPD à refaire ses devoirs.

Lundi, M. Singh a aussi indiqué que le gouvernement du Québec n’investit « pas suffisamment pour les soins de santé » et, selon lui, cela explique pourquoi il y a « des crises dans plusieurs hôpitaux ».

« Je m’inscris en faux contre cela. Depuis 2017-2018, le budget de la santé est passé de 40 milliards de dollars à 59 milliards de dollars. C’est presque 50 % d’augmentation en six ans. Sans dire que ce sont des faussetés, je pense qu’il devrait vérifier ses chiffres », a dit M. Dubé.

L’histoire jusqu’ici

22 mars 2022 : Justin Trudeau et le chef du NPD, Jagmeet Singh, annoncent qu’ils ont conclu une entente qui assure la survie du gouvernement libéral minoritaire aux Communes jusqu’en juin 2025. En échange de l’appui du NPD, les libéraux doivent notamment créer un programme national d’assurance médicaments.

5 février 2024 : Jagmeet Singh lance un ultimatum aux libéraux : un projet de loi doit être déposé d’ici le 1er mars, sinon l’entente est déchirée.

23 février 2024 : Le NPD et le gouvernement Trudeau tombent d’accord sur un projet de loi.

27 février 2024 : Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, exige un droit de retrait avec compensation financière de tout nouveau programme national d’assurance médicaments.