(Québec) Face à l’augmentation constante du nombre de demandeurs d’asile, le gouvernement Legault craint une « crise humanitaire » si Ottawa ne resserre pas le contrôle de ses frontières et que le Québec ne parvient plus à offrir des services d’accueil qui sont déjà au « point de rupture ». Québec exige du fédéral le remboursement complet du coût des services offerts aux demandeurs d’asile, qui s’élève à ce jour à plus d’un milliard de dollars.

Dans une conférence de presse à grand déploiement mardi au parlement, dans le contexte où quatre ministres ont été dépêchés pour exiger, une fois de plus, des mesures concrètes au gouvernement fédéral de Justin Trudeau face au nombre soutenu de demandeurs d’asile, le ministre de la Langue française et ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge, a dit craindre une « crise humanitaire ». Il a entre autres cité en exemple l’explosion de l’itinérance à Montréal, mais aussi dans d’autres villes de plus petite taille.

« Ça ne peut plus durer. On s’approche d’une crise qui pourrait devenir une crise humanitaire si on n’était plus capable de donner les services », a-t-il dit. Selon lui, cette hausse constante des demandeurs d’asile pourrait même menacer l’identité québécoise, puisque les services de francisation ont des limites d’accueil.

En date du 31 décembre dernier, 55 % des demandeurs d’asile qui résidaient au Canada demeuraient au Québec, a rappelé le gouvernement Legault mardi. Ils étaient 160 651 dans la province sur un total de 289 047 pour l’ensemble du pays.

Pour l’année 2023 seulement, « le coût du panier de services offerts aux demandeurs d’asile s’élève à 576,9 millions, a-t-on ajouté. Cette somme s’ajoute aux 470 millions déjà réclamés au gouvernement fédéral pour les mêmes services publics offerts aux demandeurs d’asile en 2021 et en 2022, ce qui porte le coût total de services pour les trois années à plus d’un milliard de dollars. »

Ainsi, « la plus récente annonce fédérale de réserver une somme de 150 millions au Québec pour les dépenses de 2023 ne pourra suffire et elle est irrespectueuse des efforts consentis » par la province.

Un nouvel appel à l’aide

Ce n’est pas la première fois que le Québec appelle le gouvernement fédéral à mettre en place des mesures concrètes pour freiner le nombre de demandeurs d’asile qui cognent à la porte du pays et qui s’établissent dans la province.

Une fois de plus, mardi, Québec a exigé d’Ottawa qu’il répartisse « plus équitablement » les demandeurs d’asile au pays, qu’il resserre sa politique d’octroi des visas, qu’il ferme « toute brèche qui permettrait à des groupes criminels de s’infiltrer au pays » et qu’il rembourse la totalité des sommes liées à l’accueil des demandeurs d’asile.

M. Roberge s’est dit convaincu que le fédéral répondrait cette fois-ci aux demandes du Québec puisqu’elles sont basées sur des faits. De passage à Vancouver, mardi, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, n’a pas directement répondu aux nombreuses doléances du gouvernement Legault.

« On s’assure de réconforter et de renforcer pour les Canadiens le fait que notre système d’immigration est essentiel pour un avenir fort au Québec et ailleurs, mais ça doit continuer d’être fait de façon appropriée », a-t-il dit.

« L’important, évidemment, c’est de rassurer tout le monde d’un bout à l’autre de ce pays qu’on a un système d’immigration fonctionnel, rigoureux, où les règles sont suivies. […] On est en train de regarder aussi les différents pays sur la question des demandeurs d’asile », a ajouté M. Trudeau.

De passage à Québec pour une allocution devant des gens d’affaires, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, n’a pas répondu aux questions des journalistes.

En réplique au fédéral, le premier ministre du Québec, François Legault, a affirmé qu’on « ne peut plus continuer comme ça » et qu’il va « essayer de rencontrer M. Trudeau prochainement ».

Des écoles qui ne fournissent plus

Dans les écoles, la situation est plus que tendue, a pour sa part affirmé le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. « On s’approche du point de rupture », a-t-il à son tour martelé.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

En date du 24 janvier, le Québec comptait 1237  classes de francisation, soit l’équivalent de 52  écoles primaires. Le ministère évalue que les centres de services scolaires en ouvriront 250 à 300  classes de francisation et d’accueil supplémentaires d’ici la fin de l’année scolaire, soit l’équivalent de 12 à 15 écoles.

« Juste pour le centre de services scolaire de Montréal, entre septembre 2023 et la mi-janvier 2024, c’est 90 classes d’accueil qui ont été ouvertes. […] À ce rythme-là, d’ici la fin de l’année scolaire, c’est l’équivalent de trois à quatre nouvelles écoles primaires qu’il va falloir ouvrir pour accueillir et franciser ces jeunes enfants demandeurs d’asile », a dit M. Drainville. Le CSSDM n’exclut pas par ailleurs de rehausser les ratios de ses classes d’accueil, a dévoilé le ministre.

« On a atteint un point où on ne peut pas écarter la possibilité qu’éventuellement nous ne serons plus en mesure de scolariser les jeunes demandeurs d’asile qui nous arrivent », a par la suite affirmé M. Drainville. Questionné à ce sujet, il a ensuite nuancé ses propos pendant le point de presse, précisant que le gouvernement ne prévoit pas cesser la scolarisation des enfants demandeurs d’asile.

Ce que dit l’opposition

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marc Tanguay

La crise humanitaire, on voit ça à la télévision dans d’autres pays et là, la CAQ est en train de dire que sous leur gouverne, c’est ce qu’on voie au Québec ? Voyons donc […] Le risque de tenir des propos comme ça […] c’est de voir justement les nouveaux arrivants comme une menace.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Nadeau-Dubois

Même si le fédéral, demain matin, accepte la demande du Québec puis envoie un chèque de 1 milliard, c’est un défi qu’on va continuer à devoir affronter ensemble, au Québec, parce que, tant qu’on ne réglera pas les causes pour lesquelles les gens quittent leur pays d’origine, on va devoir affronter un défi.

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

PHOTO KAROLINE BOUCHER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul St-Pierre-Plamondon

Je pense qu’on doit parler de crise sociale sans précédent, de crise sociale avec une ampleur importante par rapport à l’histoire du Québec et c’est triste de voir quatre ministres du Québec arriver […] les mains vides pour ce qui est des solutions parce que c’est le même discours depuis six ans et c’est un échec.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alexis Brunelle-Duceppe

Depuis 2021, les Québécois ont défrayé plus d’un milliard, à même leurs poches, une somme exorbitante qui continue de s’accumuler avec les années, devant l’immobilisme d’Ottawa. Le gouvernement Trudeau refuse toujours de faire sa juste part, ne nous offrant que des montants dérisoires et une arrogance malvenue. […] Les libéraux doivent assumer la note qu’il leur revient et répartir les demandeurs d’asile dans les provinces. L’inaction n’est plus une option, les Québécois demandent du respect.

Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration

Avec Fanny Lévesque, Mélanie Marquis, Joël-Denis Bellavance et Tommy Chouinard, La Presse