Le gouvernement Legault s’attaque à la mobilité des travailleurs de la construction : le ministre Jean Boulet compte interdire les clauses de convention collective qui empêchent les salariés de Montréal et de Québec, par exemple, d’aller travailler en région.

Ce qu’il faut savoir

  • Le ministre Boulet veut réformer l’industrie de la construction pour améliorer sa productivité. Québec veut pouvoir construire des logements, des écoles, des hôpitaux, des usines et des barrages plus rapidement, et à moindre coût.
  • Mobilité : Québec veut permettre à une grande majorité de salariés de travailler dans toutes les régions du Québec en éliminant les clauses de protection régionales.
  • Polyvalence : Le gouvernement veut décloisonner les métiers en permettant à des travailleurs d’accomplir d’autres tâches. Par exemple, un charpentier pourra poser de la céramique, ou un peintre pourra réparer du gypse.
  • Inclusion : le ministre veut attirer plus de femmes, de membres des Premières Nations et d’immigrants dans le secteur de la construction pour pallier la pénurie de main-d’œuvre. L’industrie aura besoin de 16 000 nouveaux travailleurs par année d’ici 2027. Le projet de loi n’aborde toutefois pas la question de la formation, déplorent les syndicats.

« Il faut enlever les barrières à la mobilité pour permettre une réalisation plus efficace et plus diligente de projets dans des régions », a lancé le ministre du Travail Jean Boulet jeudi lors de la présentation de son projet de loi pour moderniser le milieu de la construction.

Il veut rendre illégales les « clauses limitant la mobilité d’un salarié pouvant être affecté partout au Québec », ou qui « qui auraient pour effet de restreindre la liberté d’un employeur d’embaucher un tel salarié ». En clair : les clauses qui protègent un certain nombre d’emplois en région seront effacées des conventions collectives dès 2025.

« Le but, c’est de faciliter le recours à des travailleurs qui proviennent de l’extérieur de la région où se réalisent des projets. L’industrie de la construction, d’ailleurs, est le seul secteur dans le privé où la mobilité de la main-d’œuvre est restreinte », a expliqué le ministre.

Il croit que son approche ne provoquera pas de remous dans les régions éloignées comme la Côte-Nord, la Gaspésie ou le Bas-Saint-Laurent, par exemple. À une autre époque, « il y avait énormément de chômage dans certaines régions, alors que l’on constate aujourd’hui que c’est complètement à l’opposé », a-t-il expliqué. « La dynamique est totalement différente, il manque de personnes », a-t-il dit.

Je pense que ça va générer des retombées humaines, sociales et économiques, donc ça devrait être avantageux pour tout le monde. Moi, j’en suis convaincu, quand on va faire la balance des avantages et des inconvénients, que ça va être bénéfique pour les régions.

Le ministre du Travail, Jean Boulet

Productivité

Le ministre a pour objectif de rendre l’industrie plus efficace et productive. Il a déjà détaillé publiquement une première mesure : permettre le décloisonnement de certains métiers. Elle se trouve aussi dans le projet de loi. Une fois adoptée, elle permettra par exemple à un charpentier-menuisier de finir le travail d’un carreleur.

Dans le cas de la mobilité des travailleurs, il n’avait toutefois pas indiqué de quelle façon il y parviendrait. Pour les syndicats, c’est la « déception ».

« Les règles de mobilité, c’est comme le principe d’acheter local », a lancé le président de l’Inter, Michel Trépanier. Il estime que ce projet de loi va « à contresens des valeurs de la CAQ » et déplore que les « projets de développement économique qui émergent » en Mauricie, au Centre-du-Québec et sur la Côte-Nord par exemple ne profiteront plus aux travailleurs de ces régions.

On va faire fi des balises [qui servent à] assurer de l’employabilité locale. Ils vont pouvoir emmener qui ils veulent.

Michel Trépanier, président de l’Inter

Concrètement, le gouvernement interdira les clauses dans les conventions collectives qui exigent des entrepreneurs qu’ils embauchent des travailleurs locaux lorsqu’ils remportent un contrat dans une région. Et il réduira de 1500 à 750 le nombre d’heures travaillées nécessaires pour qu’un employé obtienne le statut de « salarié préférentiel » lui permettant d’être affecté partout au Québec. Cette limite est tellement faible que presque tous les travailleurs auront ce statut, selon l’Inter.

Le ministre Boulet a d’ailleurs confirmé que 73 % des compagnons auront ainsi le statut de salarié préférentiel, et la moitié d’entre eux auront la « pleine mobilité » puisqu’ils auront travaillé plus de 15 000 heures durant leur carrière.

« De grandes entreprises comme Pomerleau ou EBC, [pour ne pas] les nommer, quand elles vont aller dans une région qu’elles connaissent peu, elles vont emmener tout leur monde », a déploré M. Trépanier. Il s’attend à une réaction « émotive » en région. Les cinq syndicats de la construction s’opposent à cette mesure, ainsi qu’à la « polyvalence » que le ministre souhaite donner aux métiers de la construction.

Ouvrage

L’abolition complète des règles sur la mobilité faisait partie des demandes patronales. L’Association de la construction du Québec (ACQ) demande l’abolition pure et simple des régions de construction ; elle se dit toutefois satisfaite du retrait des clauses dans les conventions collectives.

Le responsable des affaires publiques de l’organisme, Guillaume Houle, donnait en exemple un entrepreneur de Québec qui obtiendrait un contrat au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les règles actuelles l’empêchent d’avoir une équipe composée à 100 % de travailleurs résidant dans la Capitale-Nationale.

[L’entrepreneur] va être obligé d’embaucher des employés qu’il ne connaît pas et de les former sur le tas, alors qu’une équipe de travail soudée est plus efficace.

Guillaume Houle, responsable des affaires publiques de l’Association de la construction du Québec

Du côté de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), qui représente le secteur de l’habitation, on se dit déçu du projet de loi.

Dans un contexte « où le Québec fait face à une crise du logement chronique et à une pénurie de main-d’œuvre », le projet de loi n’aura pas de « grand effet sur la productivité », juge l’organisme, qui craint également que la définition de la polyvalence proposée par le document législatif « engendre un débat juridique dans les tribunaux afin de déterminer son étendue ».

Rétroactivité

En contrepartie, le ministre Boulet inscrit dans son projet de loi le droit de négocier une convention collective rétroactive, ce qui était interdit dans le milieu de la construction. C’était une demande syndicale.

Le projet de loi propose également « diverses modifications réglementaires visant à favoriser l’accès à l’industrie de la construction des personnes représentatives de la diversité de la société québécoise que sont les autochtones, les personnes faisant partie d’une minorité visible ou ethnique, les personnes immigrantes ainsi que les personnes handicapées ». Le ministre n’a cependant pas l’intention pour le moment de se fixer des cibles publiques de recrutement dans ces catégories de travailleurs.

Pour attirer les travailleurs de l’étranger, le ministre Boulet veut également donner le pouvoir à la Commission de la construction du Québec « de déterminer des normes ainsi qu’une procédure de reconnaissance de la formation et des diplômes délivrés hors du Québec ».