(Québec) Au moment même où Geneviève Guilbault critique son propre ministère pour son manque d’expertise en transport collectif, la vérificatrice générale l’écorche pour sa gestion de l’entretien des routes, ce qui devrait pourtant être sa force, selon la ministre.

« Au Ministère, ils ont toujours fait des routes et ils ont l’expertise là-dedans », plaidait Mme Guilbault dans une entrevue avec La Presse mardi. La ministre des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) expliquait alors sa décision de transférer une partie des responsabilités de son ministère à une agence qui serait chargée de la gestion des projets de transport collectif.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Guylaine Leclerc

Le constat de la ministre tranche avec celui de la vérificatrice générale du Québec (VG), Guylaine Leclerc, qui a révélé jeudi que la moitié des chaussées des routes du Québec étaient en mauvais état et qu’« une proportion importante » d’entre elles avaient atteint leur fin de vie. Le réseau routier (les routes appartenant au MTMD) comprend plus de 31 000 kilomètres de chaussées assurant l’accès aux territoires.

Or, l’information transmise par le MTMD au gouvernement « ne permet pas de prendre la juste mesure de l’évolution de [la] dégradation » des chaussées, note la VG dans un rapport déposé à l’Assemblée nationale.

Au surplus, les travaux de conservation réalisés sont « insuffisants », si bien que le déficit de maintien d’actifs des chaussées a explosé : de 2018 à 2022, il est passé de 7 à 10 milliards de dollars, ce « qui représente plus du quart du déficit de l’ensemble des infrastructures publiques du Québec ». Mme Leclerc écrit par ailleurs que « [le] Ministère n’a pas évalué les investissements nécessaires pour maîtriser ce déficit ».

En se fiant au rythme de la croissance du déficit de maintien des actifs (en moyenne 11 % par année), il pourrait atteindre près de 17,5 milliards de dollars en 2027. Puisque le MTMD n’a pas de modèle de projection ni de cible de réduction, cette prévision est à prendre avec une certaine précaution, selon la VG.

En conférence de presse, Mme Leclerc a indiqué qu’il ne fallait pas craindre pour la sécurité des usagers de la route puisque le Ministère effectue un examen complet de son réseau tous les deux ans. Les routes en mauvais état font ensuite l’objet de travaux temporaires ou « palliatifs », comme l’explique la VG.

Il n’y a pas d’enjeux de sécurité, à court terme. Le problème, c’est qu’on n’est pas en mesure d’évaluer, à long terme, quels seront les investissements nécessaires pour s’assurer que nos routes seront pérennes.

Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec

La ministre Geneviève Guilbault ne s’est pas présentée devant les journalistes jeudi pour réagir au rapport.

Manque de planification et reports

Autre critique difficile, « certains travaux de réhabilitation des chaussées qui favoriseraient la pérennité du réseau routier » ne sont simplement « pas planifiés », écrit la VG. Et lorsque ceux-ci sont au programme, « une portion importante d’entre eux sont reportés sans être réalisés ».

« Trois des directions générales territoriales du MTMD visitées dans le cadre de nos travaux n’avaient planifié aucun projet pour des segments de chaussée nécessitant des interventions majeures », fait d’ailleurs remarquer Mme Leclerc.

Raisons des reports des travaux

  • Ressources financières et humaines insuffisantes au Ministère
  • Manque de capacité des fournisseurs
  • Travaux d’urgence qui sont priorisés, par exemple des travaux provoqués par des bouleversements climatiques

En 2022, 8000 kilomètres de chaussées revêtues avaient atteint leur fin de vie, ce qui représente le tiers de l’ensemble du réseau de chaussée.

Le Ministère a réalisé des travaux de réhabilitation majeure sur 308 kilomètres de chaussées, par année, en moyenne. À ce rythme, il faudra plus de 25 ans pour traiter ces 8000 kilomètres ayant atteint leur fin de vie, peut-on lire. « C’est sans compter les autres chaussées qui arriveront au bout de leur durée de vie chaque année et qui s’ajouteront à la charge de travail », précise le rapport.

Recommandations de la VG

  • Bonifier l’information que le Ministère communique sur l’état du réseau routier
  • Déterminer des indicateurs, des modèles de projection et des cibles qui permettront au Ministère d’évaluer les niveaux d’investissement requis
  • S’assurer que les directions générales territoriales planifient et réalisent les travaux de réhabilitation majeure nécessaires à l’atteinte des cibles ministérielles
  • Déterminer des critères pour sélectionner les projets innovants les plus prometteurs en fonction des enjeux auxquels le ministère fait face, notamment en conservation des chaussées, et évaluer la valeur ajoutée de ces projets de façon rigoureuse.

Le MTMD a dit accueillir « favorablement » les conclusions de Mme Leclerc. « En dépit d’avancées notables dans les pratiques de gestion depuis les 20 dernières années et de l’application de technologies innovantes, la conservation des chaussées du réseau routier sous la responsabilité du Ministère présente des défis auxquels font face peu d’administrations routières dans le monde : un réseau étendu sur un vaste territoire, une faible densité de population et des conditions météorologiques souvent difficiles et très variables », écrit le Ministère qui a adhéré à toutes les recommandations.