(Ottawa) Arrivée au Canada après avoir fui la guerre civile au Burundi, Arielle Kayabaga fait partie des 23 élus libéraux qui ont réclamé un cessez-le-feu à Gaza il y aura bientôt un mois. La guerre, donc, elle connaît.

« J’ai vécu le génocide. Je sais ce que c’est, les guerres, je sais ce que ça fait aux enfants, aux familles. Ce sont des générations qui vont vivre ces douleurs-là, subir les réalités atroces qui [résultent] des guerres », dit-elle en entrevue.

« Franchement, je ne sais plus quoi dire ou faire d’autre pour qu’on en arrive au point où Israël arrête de tuer ces enfants », ajoute la députée de London-Ouest, en Ontario, dans un français impeccable.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ARIELLE KAYABAGA

Arielle Kayabaga, députée libérale de London-Ouest

Arielle Kayabaga avait 11 ans lorsqu’elle a fui les violences ethniques au Burundi. Dans ce pays voisin du Rwanda, la guerre civile⁠1 provoquée par les divisions entre Hutus et Tutsis a fait environ 300 000 morts à partir de 1993.

La voici maintenant en proie à un sentiment d’impuissance. « C’est très dur de regarder ça à distance », souffle l’élue maintenant âgée de 33 ans.

Les enfants qui sont en train de mourir en Palestine, ce sont des crimes graves qui sont en train de se commettre.

Arielle Kayabaga, députée libérale de London-Ouest

Un sentiment d’impuissance aussi parce qu’elle n’a pas le pouvoir d’infléchir la position du gouvernement. Si le premier ministre Justin Trudeau a durci le ton à l’endroit d’Israël, mardi, il n’est pas allé jusqu’à réclamer une cessation des hostilités, comme l’avait fait Emmanuel Macron.

« J’ai l’impression aussi qu’une demande de cessez-le-feu du gouvernement du Canada ne pourra peut-être pas se présenter avant que tous les Canadiens qui sont à Gaza puissent sortir », avance-t-elle.

« C’est mon interprétation. Je ne dis pas que c’est la position de la ministre [Mélanie] Joly, mais je pense qu’il y a sûrement un lien. J’attends de voir, donc », note la mère d’un adolescent de 14 ans.

La sortie des Canadiens coincés dans la bande de Gaza vers l’Égypte continue, mais on est loin du compte – 367 personnes ont pu franchir la frontière, mais Ottawa dit être « en contact » avec 386 citoyens, résidents et membres de leur famille.

Difficile équilibre

À l’image de la société canadienne, les élus de la Chambre des communes sont déchirés sur l’enjeu du cessez-le-feu. Le premier ministre Justin Trudeau doit jouer les équilibristes pour ménager les uns et les autres.

Plus facile à dire qu’à faire : mardi, il s’est attiré les foudres des deux camps.

Dans la vraie vie, celle qu’il menait à Vancouver, il a dû évacuer en vitesse un restaurant qui était encerclé par des manifestants propalestiniens. Une centaine de policiers ont dû intervenir pour le faire sortir de l’établissement.

Dans l’espace virtuel, il a été réprimandé par le premier ministre Benyamin Nétanyahou. « Ce n’est pas Israël qui cible délibérément les civils », tandis que le Hamas « fait tout » pour mettre les civils en danger, a-t-il tonné sur X.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

La réaction du dirigeant israélien à cette critique « méritée » n’a pas étonné le chef néo-démocrate Jagmeet Singh, dont la formation exige un cessez-le-feu. « C’est quelqu’un qui a des propos et des valeurs extrémistes », a-t-il dit en point de presse.

Vote à l’ONU

Le leader a été invité à commenter le vote du Canada contre une résolution des Nations unies condamnant les activités d’occupation israéliennes, mais il est resté flou. Son chef adjoint Alexandre Boulerice ne l’a pas été. « Une honte », a-t-il écrit sur X.

La députée Arielle Kayabaga a l’intention de poser des questions à ce sujet : « On aimerait avoir des réponses sur ce changement, parce que ce serait un changement. Ça me paraît très contradictoire, donc j’ai hâte de savoir ce qui nous a poussés à voter comme ça. »

Car la position canadienne est celle d’une solution à deux États, rappelle-t-elle.

De façon générale, l’élue ontarienne estime qu’il y aura des leçons à tirer de la guerre. Et que sa génération, celle des milléniaux, sera aux premières loges. « C’est cette génération qui va amener le changement dont on a besoin dans le futur », estime-t-elle.

⁠1. Les violences ethniques qui ont fait des centaines de milliers de morts au Burundi ne sont pas considérées comme un génocide par les Nations unies. La guerre civile, qui a éclaté en 1993, a pris fin avec l’accord d’Arusha, en 2000.