(Ottawa) Dans la foulée du scandale de l’ovation faite à un ancien soldat d’une unité nazie au Parlement, Justin Trudeau n’exclut pas de déclassifier la section du rapport d’une commission de 1986 où se trouvent des noms d’ex-soldats nazis qui auraient émigré au Canada.

« Nous avons veillé à ce que de hauts fonctionnaires examinent très attentivement la question, y compris en fouillant dans les archives, et ils feront des recommandations pertinentes aux ministres concernés », a lancé le premier ministre en arrivant à la réunion du caucus libéral, mercredi matin.

L’un des ministres concernés, Marc Miller, à l’Immigration, a affiché la même ouverture il y a déjà plusieurs jours. Il l’a réitérée mercredi. « Nous devons examiner si nous pouvons déclassifier ces documents », a-t-il dit, en notant que l’« impunité [n’était] pas une option ».

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Le ministre de l’Immigration, Marc Miller

Il a toutefois noté que cela « demandera de la sensibilité, demandera un peu de temps » aux fonctionnaires à qui reviendra la responsabilité de déterminer ce qui peut être déclassifié ou pas, histoire de jeter un éclairage sur « la sombre histoire du Canada avec l’accueil des nazis ».

Mise sur pied sous Brian Mulroney, la commission Deschênes a publié son rapport en 1986. L’une des deux parties du rapport, celle qui contient les noms des nazis qui auraient émigré au Canada, est classée secrète.

Des organisations juives comme le B’nai Brith et les Amis du Centre Simon Wiesenthal pour les études sur l’Holocauste militent pour sa divulgation complète. Ce plaidoyer a refait surface après l’ovation qui a été réservée au Parlement à Yaroslav Hunka, ancien membre de la Waffen-SS, le 22 septembre dernier.

Si le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a affirmé que son parti appuyait la divulgation des documents, l’élu conservateur Gérard Deltell a exprimé une réticence. « Je ne suis pas dans cet état d’esprit-là », a-t-il laissé tomber en mêlée de presse avant la réunion du caucus de sa formation.

L’affaire Hunka a provoqué la démission du président de la Chambre des communes, Anthony Rota, qui avait invité l’homme de 98 ans à assister au discours du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Elle a également forcé Justin Trudeau à présenter des excuses au nom du Parlement.

Et depuis, la machine de propagande russe s’est emballée. Le Kremlin, qui avait présenté son invasion à large échelle de l’Ukraine comme une « opération spéciale » visant à « dénazifier » son voisin, multiplie les salves à l’endroit du Canada.

La porte-parole du régime de Vladimir Poutine, Maria Zakharova, écrivait encore mercredi sur X que « le monde entier avait vu [Volodymyr Zelensky] applaudir l’ancien combattant de la 1re Division SS Galicie Yaroslav Hunka au Parlement canadien ».

Le Congrès des Ukrainiens canadiens reste discret

L’influent Congrès des Ukrainiens canadiens, dont Yaroslav Hunka est membre et donateur, n’a toujours pas réagi au scandale qui a fait le tour du monde. En revanche, l’organisation a publié mercredi sur son site internet la lettre d’un professeur qui se porte à sa défense.

« Ce n’est pas dans l’intérêt du Canada que les politiciens et les médias déforment le passé et ternissent la réputation d’un individu pour marquer des points ostensibles dans l’arène politique canadienne », écrit Paul Robert Magocsi, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes à l’Université de Toronto.

Il écrit également que les anciens membres de la Division SS Galicie qui sont arrivés au Canada à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont fait l’objet de « pas moins de trois vérifications de sécurité », notamment dans le cadre de la commission Deschênes.

Or, c’est faux, rétorque Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. « C’est inexact. Il n’y a pas eu de vérifications, absolument pas. C’est un peu regrettable que le Congrès ait publié ça, je ne pense pas que ça va aider le débat », lâche-t-il.

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Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’on ignore si Yaroslav Hunka a commis des crimes de guerre, enchaîne le professeur. En fait, si on étudie l’historique de la division qui a eu deux générations, il est même « hautement improbable qu’il [M. Hunka] ait été impliqué dans des crimes de guerre », argue-t-il.

L’honneur qu’on lui a réservé au Parlement n’était pas pour autant justifié, considère Dominique Arel. « Le symbole est toxique. Il a servi dans une unité non seulement allemande, mais Waffen-SS, quand il avait 18 ou 19 ans », illustre-t-il.

En ce sens, déclassifier les informations secrètes du rapport Deschênes serait judicieux, croit-il.

Il n’y a aucune raison que toute cette recherche-là ne soit pas transparente 40 ans plus tard, car en pratique, ces gens-là sont à peu près tous décédés.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Dans le plus récent développement découlant de l’affaire Hunka, le bureau de la gouverneure générale du Canada a présenté les excuses de Rideau Hall pour avoir admis au sein de l’Ordre du Canada Peter Savaryn, un autre ancien combattant de la division Galicie.

L’ancien chancelier de l’Université de l’Alberta, aujourd’hui décédé, avait reçu cet honneur en 1987.