(Ottawa) Quelle qu’en soit l’issue, les élections du 3 octobre au Manitoba seront historiques. Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Wab Kinew, a le vent dans les voiles et pourrait devenir le premier Autochtone issu d’une Première Nation à diriger une province. La cheffe du Parti progressiste-conservateur, Heather Stefanson, serait la première femme élue à la tête du Manitoba lors d’élections générales, elle qui était devenue première ministre en 2021 à la faveur d’une course à la direction.

Ce qu’il faut savoir

Les Manitobains iront aux urnes le 3 octobre pour élire un nouveau gouvernement.

La première ministre sortante, Heather Stefanson, tentera de conserver sa majorité, mais elle demeure impopulaire.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Wab Kinew, pourrait devenir le premier Autochtone issu d’une Première Nation à diriger un gouvernement provincial.

« Quand mon père était encore un jeune homme, il n’avait pas le droit de voter dans notre pays, soulève M. Kinew en entrevue avec La Presse. Mais maintenant, moi qui suis son fils, j’ai la chance de me présenter comme candidat pour diriger une province. Ça me montre qu’au Manitoba, qu’au Canada, on a fait des progrès. »

L’homme dans la quarantaine est originaire de la Première Nation ojibwée d’Onigaming, dans le nord de l’Ontario. Son père a connu l’horreur des pensionnats pour Autochtones.

Il faut remonter au XIXsiècle, plus précisément en 1878, pour retrouver un premier ministre autochtone au Manitoba. Le Métis John Norquay avait alors occupé cette fonction durant 10 ans. Mais les membres des Premières Nations ayant le « statut d’Indien » au sens de la loi fédérale n’avaient pas le droit de voter depuis 1876. Ils ont seulement obtenu le droit au suffrage en 1952 au Manitoba, selon l’Encyclopédie canadienne.

PHOTO DU NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE DU MANITOBA, FOURNIE PAR REUTERS

Wab Kinew lors d’un évènement de campagne à Winnipeg, le 4 septembre dernier

La candidature de Wab Kinew « signale un changement dans la population de la province qui compte près de 20 % d’Autochtones » sur 1,3 million de personnes, selon Réal Carrière, professeur adjoint en sciences politiques à l’Université du Manitoba. Il pourrait ainsi « briser le plafond de verre et devenir un modèle » pour d’autres.

Après sept ans sur les banquettes de l’opposition, Wab Kinew mise beaucoup sur la santé pour convaincre les électeurs. Il promet de rouvrir des salles d’urgence, fermées par le gouvernement progressiste-conservateur, et d’embaucher 300 nouvelles infirmières.

« C’est l’enjeu le plus important pour les Manitobains », affirme en français le bachelier en économie.

Le système de santé a vraiment besoin de plus d’investissements, pas juste pour un an ou deux, mais pour sept ou huit années, voire plus.

Wab Kinew, chef du Nouveau Parti démocratique du Manitoba

Passé trouble

Les progressistes-conservateurs ont joué le tout pour le tout moins d’une semaine avant le vote avec une pleine page de publicité négative dans le Winnipeg Free Press, le quotidien le plus lu de la province. « Ne pariez pas sur le NPD. Vous aurez une mauvaise main », lit-on en gros titre. Une série de cartes à jouer avec photos rappelle, entre autres, le passé peu glorieux de Wab Kinew et d’un de ses candidats. L’annonce en accuse un autre, qui est avocat-criminaliste, d’avoir défendu des délinquants sexuels et des vendeurs de drogue, en plus d’associer les néo-démocrates du Manitoba à la « coalition Trudeau-NPD » à Ottawa.

IMAGE TIRÉE DU WINNIPEG FREE PRESS

Le Parti progressiste-conservateur du Manitoba a pris une pleine page de publicité dans un quotidien pour discréditer les néo-démocrates.

Une façon pour les troupes progressistes-conservatrices de souligner l’inexpérience de l’équipe de Wab Kinew en matière de gouvernance, qui contraste avec le bagage de la première ministre sortante. Heather Stefanson, devenue députée en 2000, a occupé plusieurs postes de ministre – Justice, Famille et Santé – avant d’accéder à la plus haute fonction.

« Ça change tout le ton de la campagne quelques jours avant les élections, a constaté en entrevue Raymond Hébert, professeur émérite de l’Université de Saint-Boniface. On s’attendait plus ou moins à un dernier coup quelconque des conservateurs, mais ça, c’est vraiment à la limite de ce qui est acceptable. »

Quelques jours auparavant, deux sondages donnaient une longueur d’avance aux néo-démocrates. La firme Angus Reid leur accordait 47 % des intentions de vote, soit six points d’avance sur les progressistes-conservateurs, et la firme Probe Research, 49 %. ⁠1

Cette avance est encore plus importante dans les circonscriptions de Winnipeg, la capitale manitobaine. Les progressistes-conservateurs demeurent populaires dans les communautés rurales. Le vote libéral semble s’être effondré et demeure sous la barre des 10 %.

Une annonce comme celle-là, si ça amène 200 ou 300 électeurs à changer d’opinion, ça peut changer le résultat final.

Raymond Hébert, professeur émérite de l’Université de Saint-Boniface

Leur publicité négative rappelle que Wab Kinew a déjà été accusé de violence conjugale, de conduite en état d’ébriété et d’avoir frappé un chauffeur de taxi. « J’ai eu un grave problème d’alcoolisme et j’ai fait des choses dont je ne suis pas fier », avait reconnu le chef néo-démocrate dans un discours quelques semaines avant le début de la campagne électorale. Les évènements remontent au début des années 2000 alors qu’il était dans la vingtaine. Il a toujours nié les accusations de violence conjugale, qui ont été retirées, et a obtenu la suspension de son casier judiciaire pour les autres.

« Nos adversaires politiques veulent vous faire croire que je me sauve de mon passé, avait-il déclaré. Mais en réalité, mon passé est la raison pour laquelle je me présente. »

Il a reçu en début de campagne un coup de pouce du poids lourd libéral, Lloyd Axworthy, ex-ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Jean Chrétien. Les deux hommes ont travaillé ensemble à l’Université de Winnipeg lorsque M. Axworthy en était le recteur et Wab Kinew, le directeur de l’inclusion des Autochtones. « Je l’avais trouvé très engagé, très efficace et très inventif », a-t-il souligné en entrevue, ne cachant pas son dégoût des tactiques conservatrices.

Économie en croissance

Le talon d’Achille des néo-démocrates est l’économie. Les progressistes-conservateurs sont perçus par les électeurs comme les meilleurs en ce domaine. « Nous sommes les seuls à avoir un plan et une vision pour développer notre économie et faire en sorte que le Manitoba n’ait plus besoin de la péréquation », a affirmé Heather Stefanson lors du débat des chefs. Le Parti progressiste-conservateur du Manitoba n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

PHOTO JOHN WOODS, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La première ministre sortante du Manitoba, Heather Stefanson, avant le débat des chefs

Impopulaire, Mme Stefanson a été « plus ou moins visible » durant la campagne électorale, fait remarquer Raymond Hébert. Elle promet de nouvelles baisses d’impôt, veut s’attaquer à la taxe fédérale sur le carbone et sévir contre les crimes violents. Le taux d’homicides à Winnipeg est parmi les plus élevés au pays.

Elle surfe sur l’opposition à « l’idéologie des genres » en disant vouloir renforcer les droits des parents et rejette la possibilité que des fouilles soient réalisées dans un dépotoir de la capitale pour retrouver les restes de deux femmes autochtones qui ont été tuées par un meurtrier. Le sujet déchire la population depuis des mois.

Reste à voir si les promesses des progressistes-conservateurs seront suffisantes pour que les électeurs leur accordent un troisième mandat. Le vote aura lieu trois jours après la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

1. Le sondage d’Angus Reid a été réalisé en ligne du 13 au 19 septembre auprès d’un panel de 990 Manitobains. Un sondage probabiliste similaire aurait une marge d’erreur de 3 %. La marge d’erreur est la même pour celui de Probe Research, qui a questionné un échantillon de 1000 Manitobains du 7 au 18 septembre.

Répartition des sièges à la dissolution de l’Assemblée législative

Parti progressiste-conservateur : 35

Nouveau Parti démocratique : 18

Parti libéral : 3

Vacant : 1

Total : 57