(Ottawa) L’absence de contenu de nouvelles sur Facebook commence à être remarquée par les utilisateurs, à quelques jours de l’adoption finale du projet de loi C-18 sur le partage de revenus des géants du web. Or, si l’accès aux nouvelles est coupé de façon permanente une fois la loi en vigueur, Meta n’aura pas à conclure des ententes avec les médias.

De nombreux utilisateurs de Facebook au Québec ont publié mardi des captures d’écran du message qui apparaît sur leur fil. « Ce contenu n’est pas visible au Canada, est-il écrit en grosses lettres. En réponse à la législation du gouvernement canadien, les contenus d’actualité ne peuvent pas être affichés au Canada. » Il est suivi d’un bouton sur lequel on peut cliquer pour en savoir plus.

« Des menaces mises à exécution », a dénoncé le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, sur Twitter. Il a signalé que les pages Facebook du Journal de Québec, du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles, « comme celles d’autres médias canadiens, sont bloquées de leurs contenus par Meta par représailles au projet de loi C-18 », et a invité les gens à s’informer directement sur les plateformes des médias au lieu de tenter d’y accéder par le réseau social.

La Presse est également touchée par cette mesure, a confirmé un utilisateur qui n’a pu accéder au contenu du quotidien sur sa page Facebook. « Pour moi, c’est socialement irresponsable d’exclure des nouvelles de qualité, recueillies et produites par des organisations professionnelles de l’information dans un monde comme l’on connaît aujourd’hui où il y a de fausses informations de tout bord, tout côté », a réagi le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, en entrevue.

Il y voit une preuve supplémentaire « de l’abus de pouvoir exercé par les géants du numérique en raison de leur monopole ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse

Meta s’oppose au projet de loi C-18, dont l’étude article par article s’est terminée au Sénat mardi. Sa version finale pourrait donc être adoptée d’ici jeudi. Cette nouvelle loi forcerait les géants du web Meta et Google à indemniser les médias d’information pour la publication de leurs contenus. Ils auraient six mois pour conclure des ententes de partage de revenus après son entrée en vigueur.

Tous deux accusent le Canada de nuire à la gratuité de l’internet en imposant un prix sur des hyperliens et font valoir que ce sont les médias qui profitent de la visibilité offerte par ses plateformes.

L’un des 12 amendements adoptés au Sénat mardi reconnaît que les médias tirent eux aussi un avantage lorsque leur contenu est diffusé sur les plateformes numériques et que la valeur de cet avantage devrait faire partie des négociations pour les ententes de partage de revenus. Cet amendement proposé par la sénatrice Julie Miville-Dechêne risque toutefois d’être rejeté par le gouvernement.

Des tests « aléatoires » comme en Australie

Meta avait déjà menacé de couper temporairement l’accès aux nouvelles sur deux plateformes, Facebook et Instagram, et d’appliquer cette mesure en permanence lorsque C-18 serait adopté. Elle avait indiqué que ces « tests » débuteraient le 2 juin, mais ils avaient été peu remarqués jusqu’à aujourd’hui.

« Les tests sont complètement aléatoires », a indiqué la porte-parole de Meta au Canada, Lisa Laventure. Ils doivent toucher entre 240 000 et 1,2 million d’utilisateurs durant tout le mois. L’entreprise avait utilisé la même tactique en Australie en 2021, empêchant le contenu de nouvelles d’être partagé sur Facebook. Après quelques jours, elle en était arrivée à une entente avec le gouvernement.

« C’est inacceptable et on ne va pas permettre à cette intimidation de fonctionner, a réitéré le premier ministre Justin Trudeau. On va toujours être là pour défendre l’accès des Canadiens à des nouvelles. C’est fondamental pour notre démocratie. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

« Ils essaient d’intimider les sénateurs parce que ça arrive exactement au même moment où le projet de loi vient de sortir du comité du Sénat et c’est complètement inacceptable », s’est indigné à son tour le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez.

Une échappatoire

Le projet de loi contient toutefois une échappatoire. Meta n’aura pas à conclure d’ententes avec les médias d’information s’il coupe l’accès aux nouvelles de façon permanente après l’adoption de C-18, a confirmé le cabinet de M. Rodriguez. Le gouvernement a préféré une solution fondée sur le marché plutôt que d’imposer ce qui aurait été perçu comme une taxe.

C’est ce que souhaitait aussi Médias d’Info Canada, qui représente l’industrie. Son président-directeur général, Paul Deegan, invite plutôt le gouvernement à faire pression à son tour sur le géant du web en cessant de lui acheter de la publicité.

« L’année dernière, le gouvernement fédéral a dépensé 11 millions de dollars sur Facebook et Instagram et seulement 6 millions pour tous les journaux papier au pays. C’est presque deux fois plus », a-t-il fait valoir en entrevue.

Meta livre une concurrence aux médias d’information pour la vente de publicité en raison de son importante capacité à récolter des données sur ses utilisateurs. Plusieurs entreprises ont annoncé des compressions au cours des derniers mois, dont Québecor, les Coops de l’information, Global News et Postmedia, qui détient la Montreal Gazette.

L’histoire jusqu’ici

Avril 2022

Le gouvernement fédéral dépose le projet de loi C-18 pour forcer les géants du web à conclure des ententes afin de partager leurs revenus avec les médias d’information.

Octobre 2022

Un rapport évalue à 330 millions par année la somme que les entreprises qui produisent des nouvelles recevraient grâce à ces ententes.

Mars 2023

Google bloque l’accès aux nouvelles d’un million de ses utilisateurs au Canada en réaction au projet de loi C-18, mais fait rapidement marche arrière après un tollé.

Juin 2023

Meta bloque à son tour le contenu de nouvelles sur ses plateformes, alors que le projet de loi est à l’étude au Sénat.