Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, affirme que l’explosion du nombre d’immigrants temporaires au Québec entraîne des « répercussions importantes » sur la situation du français. Il note aussi que l’utilisation de l’anglais dans l’espace public est « étroitement liée », pour les allophones et les francophones, au fait d’avoir étudié dans un cégep ou une université anglophone.

L’effet de l’immigration temporaire

Dans son premier rapport annuel, déposé mercredi au Salon bleu, M. Dubreuil énonce des « préoccupations particulières » au fait que l’immigration temporaire (étudiants étrangers et travailleurs étrangers temporaires) ait explosé au Québec au cours des dernières années. Il y a 10 ans, il y avait 100 000 résidents non permanents au Québec. Ils sont maintenant 346 000 présents sur le territoire, soit près de 4 % de la population.

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Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil

« Les données du recensement montrent qu’en 2021, le français est moins présent et que l’anglais l’est davantage chez les résidents non permanents […]. On peut penser que cette forte présence de l’anglais comme langue utilisée le plus souvent au travail chez les résidents non permanents (34,6 %) entraîne déjà des répercussions importantes sur la situation du français au Québec », dit M. Dubreuil.

À Québec, le gouvernement Legault est la cible de l’opposition sur ce sujet, alors qu’il exclut d’établir un seuil pour cette catégorie d’immigrants.

« L’expérience québécoise », un plus ?

Benoît Dubreuil affirme également que dans le cas des immigrants qui sont admis au Québec sur la base d’une « expérience québécoise », comme le fait d’avoir étudié ou travaillé dans la province, ce n’est pas un gage d’utiliser le français au travail de façon plus récurrente que d’autres catégories d’immigrants.

Selon le commissaire, les ressortissants étrangers ayant formulé une demande d’asile (65,6 %) ou ceux qui ont été admis sans expérience préalable au Québec (63,7 %) « ont davantage tendance à utiliser le français le plus souvent au travail que [les personnes] admises après avoir bénéficié d’un permis de travail (55,7 %) [ou] d’un permis d’études (51,4 %) ».

« Ces écarts méritent d’être soulignés, puisqu’on présume généralement que le fait d’avoir séjourné au Québec avant l’admission favorise l’intégration à la société québécoise », affirme-t-il.

Faut-il imposer la loi 101 au cégep ?

Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, ne répond pas à cette question qui revient sans cesse dans les débats depuis que le gouvernement s’est fixé l’objectif d’inverser le déclin du français. Par contre, il note qu’une enquête de l’Office québécois de la langue française révèle que la préférence de recevoir un service en français dans les commerces passe de 81,9 % à 46,5 % chez les francophones « selon que les études postsecondaires ont été réalisées en français ou en anglais ».

« Du côté des allophones, la préférence pour le français passe de 68,6 % chez ceux qui ont étudié en français à 19,5 % chez ceux qui ont étudié en anglais », ajoute M. Dubreuil.

Le commissaire note également que l’anglais est utilisé le plus souvent au travail chez 23 % des francophones qui ont étudié en anglais, alors qu’auprès des allophones, « l’utilisation prédominante de l’anglais [au travail] passe de 7 % à 46 % selon que les études postsecondaires ont été réalisées en français ou en anglais ».

La bataille des indicateurs

Dès que la question du déclin du français au Québec est abordée, les analyses divergent selon les indicateurs qui sont analysés (langue maternelle, langue parlée à la maison, langue parlée au travail, première langue officielle parlée, etc.). Dans son premier rapport, Benoît Dubreuil y va de quelques constats :

  • Le nombre de Québécois qui ont le français comme langue maternelle et comme langue d’usage à la maison est en recul ;
  • L’utilisation de l’anglais comme langue maternelle et langue d’usage est en augmentation ;
  • Les données sur la première langue officielle parlée montrent que « l’anglais [jouit] d’un fort pouvoir d’attraction auprès d’une minorité importante » d’immigrants, et ce, peu importe leur parcours ;
  • Environ 60 % des immigrants utilisent de façon prédominante le français au travail et dans la société ;
  • Par contre, environ 25 % des immigrants utilisent l’anglais de façon prédominante au travail ou dans l’espace public, alors que de 10 à 15 % l’utilisent à égalité avec le français ;
  • Les immigrants qui proviennent de pays où le français est historiquement implanté (comme la France, l’Algérie, le Maroc ou Haïti) « sont les seuls qui utilisent le français sur le marché du travail dans une proportion semblable à la population d’accueil » ;
  • Une « minorité importante » de jeunes Québécois n’affiche pas de préférence quant au fait d’être servi en français dans les commerces.

Contexte

Benoît Dubreuil est le premier commissaire à la langue française. Son poste, qui relève de l’Assemblée nationale au même titre que le poste de vérificateur général ou de protecteur du citoyen, a été créé lors de l’adoption de la loi 96 sur la protection du français, au printemps 2022. En février dernier, l’Assemblée nationale a entériné sa nomination, malgré l’opposition des libéraux. Il a pour mandat de faire un suivi de la situation linguistique au Québec et de formuler des recommandations pour assurer l’avenir du français.