(Ottawa) L’Université d’Ottawa continuera de gérer le Programme de contestation judiciaire au cours des cinq prochaines années, mais un projet de loi privé vise à le rendre permanent. L’entente avec le gouvernement fédéral avait été prolongée l’an dernier jusqu’en mars 2023.

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement Trudeau a rétabli le Programme de contestation judiciaire en 2017, aboli 11 ans plus tôt par les conservateurs de Stephen Harper.

Ce programme doté d’un budget annuel de 5 millions sert à financer des personnes ou des groupes pour faire respecter leurs droits constitutionnels.

Il s’est retrouvé au cœur d’une controverse en 2020 en acceptant de financer la commission scolaire English-Montréal pour sa contestation de la Loi sur la laïcité de l’État du Québec.

« La justice ne devrait pas dépendre de l’épaisseur du portefeuille. La protection des droits constitutionnels des Canadiens, qu’ils aient de l’argent ou non, sert le bien public », a fait valoir le député libéral de la Colombie-Britannique Ron McKinnon, lors de la première heure de débat de son projet de loi à la Chambre des communes, le 3 mai.

Il a déposé le projet de loi C-316 afin de mettre le Programme de contestation judiciaire à l’abri d’une éventuelle révocation. Si son texte législatif était adopté, « tout gouvernement souhaitant l’annuler [serait] tenu d’obtenir l’approbation du Parlement ». Il s’agit de l’une des recommandations tirées d’un rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne diffusé lors du premier mandat des libéraux.

Ce programme sert à financer des recours devant les tribunaux pour faire valoir les droits constitutionnels de groupes ou d’individus en matière de langues officielles ou de droits de la personne. Supprimé par le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2006, il a été rétabli par celui de Justin Trudeau en 2017. Un accord de contribution, assorti de 5 millions annuellement, avait par la suite été signé avec l’Université d’Ottawa jusqu’en 2022. Les libéraux avaient promis de doubler le financement du programme lors de la dernière campagne électorale, ce qu’ils ont fait lors du dernier budget fédéral en allouant une enveloppe de 24,5 millions de dollars sur cinq ans.

« Ce financement renforcé permettra d’avoir une portée plus grande afin de défendre un plus large éventail de causes », a indiqué le porte-parole du ministère du Patrimoine canadien, David Larose, à La Presse.

Le ministre québécois de la Langue française et responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge, avait affirmé lors du dévoilement du Plan d’action sur les langues officielles, en avril dernier, que « ce serait inacceptable » que l’argent du gouvernement fédéral serve à « financer des groupes qui contestent les lois de la nation québécoise », comme la réforme de la loi 101, aussi connue sous le nom de loi 96.

Le programme avait déjà fait les manchettes en 2020 après avoir accordé 250 000 $ à la commission scolaire English-Montréal (CSEM) pour contester la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) et la Loi sur l’instruction publique. La CSEM avait finalement renoncé à cet argent. Elle n’en a pas demandé pour sa contestation de la loi 96, a confirmé son porte-parole, Michael Cohen.

L’histoire avait été mise au jour à la suite d’une plainte, puisque les organismes scolaires ne peuvent pas accepter de fonds fédéraux sans l’approbation du gouvernement du Québec. Or, règle générale, l’attribution des enveloppes du programme n’est pas rendue publique.

Le Bloc inquiet

« Le Programme de contestation judiciaire n’est pas l’objet d’une reddition de comptes et ne révèle pas à qui va l’argent, ce qui permet des biais, et lorsque l’on connaît ce que sont les biais a priori de l’Université d’Ottawa, il y a de quoi s’inquiéter », a fait valoir le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, en entrevue.

La directrice du programme, Marika Giles Samson, affirme que l’attribution des fonds est assujettie au secret professionnel. « Il faut trouver un équilibre entre le droit du public et des parlementaires de savoir sur quoi les fonds sont dépensés et les droits bien reconnus des utilisateurs du Programme de contestation judiciaire de poursuivre leur cause dans le même contexte que tout autre justiciable, c’est-à-dire où leurs informations juridiques demeurent confidentielles », a-t-elle indiqué.

Mme Giles Samson a également défendu l’indépendance de ce programme et rappelé que les demandes sont évaluées par deux comités d’experts. « On a un appui administratif de l’Université d’Ottawa, a-t-elle dit. Ils ne s’impliquent pas du tout du côté du travail des comités d’experts, pas du tout. »

« Le gouvernement n’a rien à dire sur le choix des groupes et causes qui sont financés », a réitéré Laura Scaffidi, attachée de presse du ministre Pablo Rodriguez, dans une déclaration écrite.

Parmi les autres groupes qui contestent la loi 96, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et le Conseil en éducation des Premières Nations ont confirmé ne pas avoir fait de demande.

Le Bloc québécois avait réclamé en campagne électorale que le programme soit retiré de l’établissement, jugé trop multiculturaliste. « On a déjà demandé que ce ne soit pas le cas parce que l’Université d’Ottawa est un haut lieu d’activisme anti-Québec », a indiqué M. Blanchet.

La suspension de la professeure Verushka Lieutenant-Duval en 2020 pour avoir utilisé le « mot commençant par un N » en classe, les sorties répétées du professeur Amir Attaran, qui a qualifié le Québec de « raciste » et le premier ministre François Legault de « suprémaciste blanc », de même qu’un rapport en 2021 qui soulève l’émergence d’une francophobie au sein de l’université sont autant de raisons de lui retirer la gestion du Programme de contestation judiciaire, selon le Bloc.

Avec Tommy Chouinard, La Presse