Morris Rosenberg revient sur le don d’un milliardaire chinois à la Fondation Pierre Elliott Trudeau et défend son rapport

(Ottawa) Le contexte dans lequel la Fondation Pierre Elliott Trudeau a accepté le don d’un milliardaire chinois n’était pas le même qu’aujourd’hui, estime son ex-directeur général, Morris Rosenberg, qui se désole de l’ombrage que cette affaire fait à son rapport sur l’ingérence étrangère. Car l’enjeu est sérieux, et puisqu’une élection peut survenir à tout moment, il faut être sur le pied de guerre pour combattre un ennemi qui ne sera pas forcément le même.

À l’autre bout du fil, l’homme énumère ses états de service – sous-ministre aux Affaires étrangères et à la Santé sous les conservateurs de Stephen Harper, avant cela sous-ministre à la Justice sous les libéraux de Jean Chrétien, entre autres fonctions – comme autant de preuves de son intégrité, avant de répondre à la question à 200 000 $.

C’est le montant du chèque signé à l’ordre de la Fondation Pierre Elliott Trudeau par un homme d’affaires proche de Pékin, Zhang Bin, alors que Morris Rosenberg en était le patron. Le don avait fait les manchettes en 2016⁠1, mais il a refait surface la semaine passée quand le Globe and Mail a rapporté que la contribution s’inscrivait dans une tentative d’ingérence.

« Je n’ai jamais été informé de cela, je ne sais même pas si c’est vrai. Je ne ferai pas de commentaires sur des informations coulées dont je ne sais rien », lance-t-il. Ce dont il veut discuter plus longuement, en revanche, c’est du « contexte historique » des liens sino-canadiens de l’époque, même pas si lointaine.

En 2015-2016, sous Justin Trudeau, la relation avec la Chine était plus positive, mais c’était aussi vrai pour des institutions canadiennes, qui voulaient collaborer avec Pékin en recherche, en formation de juges, en échanges étudiants. Il y avait cette notion qu’on aidait à une transition vers une démocratie libérale.

Morris Rosenberg

« Aurais-je fait la même chose aujourd’hui ? Je suis certain que les vérifications auraient été beaucoup plus diligentes. La confiance s’est érodée. Les temps ont changé », affirme l’ancien haut fonctionnaire.

Un rapport à la crédibilité minée

Aujourd’hui, on se retrouve avec une fondation qui a choisi de rendre les 200 000 $.

On se retrouve aussi avec un rapport sur l’ingérence étrangère dont la crédibilité a été écorchée, notamment par le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, au grand dam de son auteur.

« Oui, c’est frustrant. Je pense qu’il y a un contexte politique plus large, mais oui, c’est frustrant », admet M. Rosenberg.

Le jour du dépôt du document dont il a accouché, le Parti conservateur joignait sa voix à celles des bloquistes et des néo-démocrates, qui réclamaient une enquête publique et indépendante sur l’ingérence de la Chine dans le processus électoral.

Le premier ministre a depuis annoncé qu’il reviendrait à un rapporteur indépendant de le conseiller sur la pertinence d’un tel exercice. Mais peu importe le processus, il ne doit pas entraver les chantiers gouvernementaux en cours, dit Morris Rosenberg.

« Je ne veux pas qu’on doive attendre trois ans pour obtenir des résultats », tranche-t-il, sans pour autant être défavorable à l’idée d’une enquête publique.

D’abord, le gouvernement Trudeau étant minoritaire, « une élection peut arriver à tout moment », mais de plus, les puissances qui cherchent à semer la zizanie n’attendent pas la dissolution du Parlement pour fourbir leurs armes, illustre-t-il.

Et c’est sans compter que l’ennemi ne sera peut-être pas non plus le même.

Je pense qu’à l’avenir, il faudra s’inquiéter en particulier de l’ingérence russe. Moscou a des motifs clairs de tenter de dissuader les Canadiens – et les citoyens des autres pays de l’OTAN – des vertus d’appuyer l’Ukraine.

Morris Rosenberg

« Il faut faire attention de mener une guerre du passé », expose-t-il.

De naïveté et de chance

Le rapport dont le gouvernement libéral avait demandé à Morris Rosenberg d’assurer la rédaction portait sur l’efficacité du protocole public en cas d’incident majeur pour 2021. On y confirme que l’ingérence étrangère n’a pas eu d’incidence sur le résultat du scrutin.

Il y en a toutefois bel et bien eu dans certaines circonscriptions, mais pas suffisamment pour alerter la population. Il s’agit là d’un aspect – le seuil à atteindre pour justifier une mise en garde – que l’auteur du document demande d’étudier.

Il faut aussi, en vrac, renforcer les outils de cyberdéfense, améliorer la communication avec le public, donner plus de ressources aux agences de renseignement, moderniser la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Entre autres.

« Je pense qu’un de nos défis, c’est que nous n’avons pas consacré beaucoup de temps et d’attention aux enjeux de sécurité nationale, peu importe le gouvernement », analyse M. Rosenberg.

« Il y a un peu de naïveté, mais aussi de la chance : notre voisin au sud a historiquement été assez fiable, et sinon, les autres frontières sont les océans. Là, les règles du jeu ont changé », prévient-il.

1. Lisez l’article sur le don publié en 2016 par CBC (en anglais)