(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau est arrivé mercredi après-midi aux Bahamas, où des membres de la « Communauté des Caraïbes » se réuniront pour discuter de problèmes régionaux, notamment de la crise qui s’aggrave en Haïti.

M. Trudeau participe en tant qu’invité spécial au sommet des 20 dirigeants des Caraïbes, à Nassau, à l’occasion de la 44e Réunion ordinaire de la Conférence des chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui célèbre cette année son 50e anniversaire.

Le cabinet du premier ministre explique que ce voyage permettra aux dirigeants d’envisager une assistance politique, sécuritaire et humanitaire au peuple haïtien et des « solutions dirigées par les Haïtiens à la situation actuelle ».

Ce pays est plongé dans une grave crise depuis l’assassinat, en juillet 2021, du premier ministre Jovenel Moïse. Des gangs criminels violents se disputent le territoire de la capitale, Port-au-Prince, et des organismes internationaux signalent des agressions sexuelles endémiques, des enlèvements et une aggravation de l’urgence sanitaire.

Le premier ministre non élu d’Haïti, Ariel Henry, qui devrait participer à la réunion de Nassau, a demandé une intervention militaire étrangère ; les États-Unis ont suggéré qu’elle soit dirigée par le Canada. Mais le gouvernement canadien recherche plutôt un « consensus » sur le terrain et favorise l’imposition de sanctions économiques contre les élites accusées de soutenir les activités des gangs criminels.

M. Trudeau a déclaré mercredi matin à Ottawa que les nations des Caraïbes avaient un rôle à jouer pour légitimer l’aide internationale auprès du peuple haïtien.

« Depuis trop de décennies, il y avait une perception que c’était le Nord, les pays plus coloniaux qui essayaient de régler la situation en Haïti, sans énormément de succès, a expliqué le premier ministre. Je pense que nous reconnaissons à quel point le peuple haïtien doit être au centre de tout ce qu’ils sont en train de faire maintenant. Et les pays avoisinants des Caraïbes vont avoir un rôle important à jouer », a-t-il dit.

M. Trudeau aimerait ainsi que les pays des Caraïbes soient partenaires pour « tenir tête contre cette douzaine de familles en Haïti qui sont responsables pour l’instabilité et la violence depuis bien des années ».

Des élections libres

L’hôte du sommet de Nassau, le premier ministre des Bahamas, Philip Davis, a déclaré mardi en conférence de presse que discuter d’Haïti serait évidemment une priorité, et il a exhorté des pays comme le Canada et les États-Unis à apporter leur aide.

« Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour régler nous-mêmes le problème d’Haïti et nous avons besoin d’une aide extérieure, a-t-il déclaré. Ce que nous cherchons à faire, c’est de stabiliser suffisamment le pays pour permettre des élections libres et équitables, et le défi réside dans la voie pour y parvenir. »

Le premier ministre Davis a souligné que les Bahamas seraient disposées à fournir si nécessaire du personnel à une mission de sécurité, après que la Jamaïque a déclaré plus tôt ce mois-ci qu’elle était prête à rejoindre une éventuelle force multilatérale.

Stephen Baranyi, professeur de développement international à l’Université d’Ottawa, a déclaré qu’Ottawa considère une mission militaire à part entière comme une solution de « dernier recours ».

Le meilleur scénario, a-t-il dit, serait que les Haïtiens se réunissent dans un dialogue politique qui mène à des élections libres et équitables plus tard cette année.

Mais l’idée d’envoyer une force spécialisée et limitée dans le temps pour aider la police haïtienne, ou d’envoyer une force militaire plus importante, est de plus en plus débattue. Et le Canada pourrait jouer un rôle de premier plan dans un tel effort, s’il trouve des partenaires, a déclaré le professeur Baranyi.

« Il ne peut pas y aller tout seul : le Canada a besoin du soutien et de la participation des pays des Caraïbes, des pays africains francophones », a-t-il estimé.

Un « consensus haïtien » d’abord

Emmanuel Dubourg, le seul député fédéral canadien d’origine haïtienne, assure que son gouvernement ne laisse rien de côté. « Nous faisons de notre mieux pour obtenir ce consensus afin d’avoir une solution diplomatique », affirme le député libéral de Bourassa, dans le nord-est de Montréal.

« Mais on a aussi entendu dire que la police nationale n’était pas suffisamment armée et que la situation était vraiment difficile là-bas. Nous discutons donc de tous les types d’options pour aider les gens en Haïti. »

Le député Dubourg a ajouté qu’une discussion sur Haïti fera partie des entretiens qu’auront le premier ministre Trudeau et le président des États-Unis, le mois prochain, lorsque Joe Biden sera en visite officielle au Canada.

Une délégation américaine doit assister également au sommet de Nassau, conduite par le secrétaire d’État adjoint américain.

Mardi, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a assuré que le Canada continuerait de travailler avec les États-Unis et d’autres alliés pour aider à améliorer la situation sur le terrain. Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, pense pour sa part qu’il est important d’œuvrer avec le peuple haïtien sur la voie à suivre plutôt que d’imposer une solution en tant que pays étranger.

Plus de deux millions de Canadiens voyagent chaque année dans les pays représentés par la CARICOM, et le commerce du Canada avec ces pays a totalisé près de 6 milliards en 2021.

Le changement climatique devrait aussi être un sujet majeur du sommet de Nassau. La plupart des membres de la CARICOM sont des nations insulaires qui devraient souffrir de manière disproportionnée des impacts négatifs du réchauffement climatique et de l’élévation du niveau de la mer.

Certaines petites îles des Caraïbes ont littéralement disparu au cours de la dernière décennie, a déclaré le professeur Baranyi. C’est un « signal d’alarme » pour la communauté internationale, a-t-il dit, et pour les pays développés comme le Canada qui ont beaucoup plus contribué au problème.

« Nous avons la responsabilité particulière de payer une partie de la facture », a-t-il déclaré, ajoutant qu’une discussion sur la manière dont les pays prévoient d’atteindre les objectifs climatiques de l’ONU sera probablement à l’ordre du jour.

Le premier ministre Trudeau devrait rentrer à Ottawa tard jeudi soir.