(Ottawa) On a commencé à l’entendre lundi dans les mêlées de presse, dans les débats en Chambre et lors de la période des questions : huit. Huit ans que le gouvernement Trudeau échoue à faire ceci ou cela. Au Parti conservateur du Canada, on veut envoyer le message que les libéraux forment un gouvernement usé. Et la stratégie en préoccupe certains dans les rangs libéraux.

Quarante-cinq.

C’est le nombre de fois que les conservateurs ont lancé le chiffre, sous différentes déclinaisons, dans la seule journée de lundi, selon un recensement du journal des débats.

Après huit ans sous la houlette de Justin Trudeau, « les Canadiens souffrent », « les paiements hypothécaires ont doublé », « les demandes ont explosé dans les banques alimentaires » ou encore « les crimes violents ont augmenté de 32 % ».

« Je suis très inquiet que ce premier ministre, après huit ans à promettre des jours ensoleillés, ait perdu contact avec la réalité », s’est alarmé le député conservateur Luc Berthold, lundi.

Le lendemain, dans la première question qu’il a posée en français à la Chambre des communes, son chef Pierre Poilievre a prononcé pas moins de cinq fois le chiffre huit.

Pour précision, les libéraux de Justin Trudeau ont accédé au pouvoir le 19 octobre 2015. Ils ont donc un peu plus de sept années de règne derrière la cravate, mais oui, ils entament leur huitième année au pouvoir.

Changement de tactique

Cette ligne d’attaque s’inscrit dans un réalignement stratégique : l’aiguille de plusieurs sondages ne bougeait pas dans les mois ayant suivi le triomphe de Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur, le 10 septembre dernier.

Après avoir boudé les médias « mainstream », le chef est sorti de sa tanière, multipliant les apparitions sur les plateaux de télévision, notamment au Québec, au cours des dernières semaines.

Sa cheffe adjointe Melissa Lantsman, qui fuyait aussi les journalistes de la presse parlementaire, est également sortie de l’ombre.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Melissa Lantsman, cheffe adjointe du Parti conservateur

« Écoutez, ce n’est pas une ligne d’attaque, c’est la réalité », a plaidé cette dernière, croisée dans un corridor du parlement, mardi.

Également intercepté dans l’édifice de l’Ouest, le député libéral Adam van Koeverden a cherché à minimiser l’impact que pourrait avoir cette campagne.

« Ma première préoccupation, c’est leur faiblesse en mathématiques : nous sommes là depuis sept ans et une couple de mois », a-t-il raillé.

« Sinon, je suis convaincu que les Canadiens voient au-delà des slogans. Ils veulent des solutions », a-t-il dit.

Inquiétudes libérales

N’empêche, dans les rangs libéraux, la nouvelle stratégie conservatrice n’est pas passée inaperçue.

Au contraire, on craint qu’elle fasse mouche chez les électeurs, qui pourraient être tentés par le changement aux prochaines élections.

L’automne dernier, les troupes de Pierre Poilievre avaient misé sur un autre slogan en accusant les libéraux de Justin Trudeau de vouloir « tripler, tripler, tripler » la taxe sur le carbone. Mais cette ligne d’attaque a eu des effets limités.

« Les conservateurs sont bons pour produire des slogans et les répéter. Ils tentent de mettre dans la tête des gens qu’on est un vieux parti qui ne se renouvelle pas. Il va falloir être très solides dans nos communications pour riposter à cela », a convenu une source libérale, qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat afin de parler librement de cette nouvelle dynamique à la Chambre des communes.

Cette source libérale a souligné que les gens avaient tendance à vite oublier les réalisations du gouvernement Trudeau.

En matière de plan de communications, on a intérêt à avoir quelque chose de solide pour contrer ce que les conservateurs sont en train de faire.

Une source libérale

Deux récents sondages démontrent que le Parti conservateur est en tête dans les intentions de vote à l’échelle du pays. Selon un sondage Nanos publié le 18 janvier, il obtiendrait 35,6 % des suffrages contre 28,3 % pour le Parti libéral et 20,7 % pour le Nouveau Parti démocratique (NPD). La firme n’a pas dévoilé de résultats par province.

Un autre sondage, réalisé par la firme Abacus Data et publié le même jour, accordait 35 % des appuis au Parti conservateur, 31 % au Parti libéral et 18 % au NPD. Au Québec, les libéraux de Justin Trudeau arrivaient toutefois toujours en tête avec 37 %, contre 30 % pour le Bloc québécois, 17 % pour le Parti conservateur et 7 % pour le NPD.

En moyenne, les gouvernements minoritaires demeurent au pouvoir entre 18 et 24 mois. Le gouvernement Trudeau est minoritaire à la Chambre des communes.

En mars dernier, le gouvernement a conclu avec le NPD une entente qui lui assure la survie aux Communes possiblement jusqu’en 2025, en échange d’investissements dans des programmes sociaux comme la création d’un programme national de soins dentaires.

Des élections fédérales ne sont donc pas prévues en 2023, à moins d’un revirement majeur.