(Ottawa) L’ex-grand patron de la firme McKinsey a nié mercredi avoir une relation d’amitié avec le premier ministre Justin Trudeau, contrairement à ce que les conservateurs avancent. Une enquête en comité parlementaire tente de faire la lumière sur la centaine de millions de dollars de contrats accordés au cabinet-conseil par le gouvernement fédéral.

« Non, je ne suis pas un ami », a-t-il affirmé en réponse à la question de la députée conservatrice albertaine Stephanie Kusie, qui l’a mitraillé de questions sur la nature de sa relation avec M. Trudeau.

« J’ai une relation professionnelle avec lui », a-t-il ajouté en précisant qu’il n’avait pas son numéro de téléphone personnel et qu’il n’avait jamais été dans une pièce seul avec lui. Il s’agit d’une « fiction », a-t-il dit en mêlée de presse.

Il a également affirmé qu’il ne connaissait pas M. Trudeau avant 2013 parce qu’il habitait en Asie depuis longtemps et qu’il suivait moins ce qui se passait au Canada. M. Trudeau était alors chef du troisième parti d’opposition à la Chambre des communes.

Celui qui a dirigé McKinsey jusqu’en 2018 est demeuré flemagtique tout au long de son témoignage devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes. Il s’était déplacé à Ottawa de Nairobi, au Kenya, pour le livrer en personne. Les partis de l’opposition l’ont questionné sur le rôle de McKinsey dans la crise des opioïdes, la détermination du seuil d’immigration au Canada et l’obtention de juteux contrats du gouvernement.

Tous les contrats conclus ont passé par un processus géré par les fonctionnaires, pas par la classe politique. Et je n’avais aucune idée de la teneur de ces contrats. Vous devez parler aux équipes qui étaient là.

Dominic Barton, ex-grand patron de la firme McKinsey

Des députés du Parti conservateur et du Nouveau Parti démocratique (NPD) l’ont talonné sur le rôle du cabinet-conseil dans la crise des opioïdes. McKinsey a dû verser près de 600 millions à 47 États américains pour avoir aidé des sociétés pharmaceutiques à stimuler la vente d’opioïdes, dont le fabricant de l’OxyContin. Dominic Barton était le directeur général pour les activités de la firme à l’échelle mondiale lorsqu’il travaillait pour cette société.

« Le travail était légal, mais il était manifestement bien en deçà des normes de ce que nous faisions, a-t-il reconnu. Je me très sens mal par rapport à cela, mais il y a une différence entre cet enjeu qui est une erreur et le fait de dire que nous étions l’architecte d’un programme plus large. »

Pressé de questions, il a affirmé qu’il ignorait à l’époque que McKinsey était impliquée dans un contrat concernant la fabrication d’opioïdes et que, comme la firme compte 2700 associés, il ne pouvait pas tout savoir.

« Peu importe que vous ayez ou non un lien d’amitié avec le premier ministre, une chose que vous avez en commun avec lui, c’est de ne pas assumer la responsabilité de ce qui s’est passé sous votre gouverne », s’est exclamé le député conservateur albertain Garnett Genuis.

100 millions de Canadiens

Le Bloc québécois s’est plutôt intéressé aux liens entre Dominic Barton, qui a cofondé le groupe de pression Century Initiative, et l’objectif du Canada d’accueillir 500 000 nouveaux arrivants par année à compter de 2025. Century Initiative préconise la mise en place de politiques publiques pour augmenter la population canadienne à 100 millions de personnes d’ici 2100. M. Barton a présidé le Conseil consultatif en matière de croissance économique à la demande de l’ex-ministre fédéral des Finances Bill Morneau.

« Ces 500 000 ne sont pas venus du Conseil consultatif. C’est plus que ce que le conseil de croissance a dit », a révélé M. Barton, précisant que le groupe se contentait de faire des recommandations et qu’il revenait au gouvernement de les appliquer ou non.

Quant au contrat ouvert d’une durée de 81 ans accordé à McKinsey par le gouvernement, M. Barton a admis qu’il ne l’aurait pas fait comme gestionnaire. Le contrat a été attribué après son départ.

Il a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait jamais été impliqué dans les contrats de McKinsey avec le gouvernement canadien, puisque, comme grand patron, il ne travaillait pas directement avec la clientèle. Il a également souligné à maintes reprises que la firme concluait 3000 contrats par jour.

Dominic Barton a dirigé McKinsey jusqu’en 2018. Un an plus tard, il a été nommé ambassadeur du Canada en Chine, poste qu’il a occupé jusqu’en 2021 avec comme mandat de travailler à la libération des ressortissants canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, emprisonnés par Pékin.

« C’était le plus grand honneur de ma vie de faire ce travail, mais je ne me suis pas proposé pour le faire », a-t-il dit. C’était à ce moment-là qu’il a eu sa première interaction avec M. Trudeau pour trouver une façon de rétablir la communication avec la Chine.

Avant la levée de la séance, le NPD a présenté une motion pour élargir l’enquête parlementaire à d’autres firmes de consultants qui ont obtenu des contrats du gouvernement fédéral comme Deloitte, PricewaterhouseCoopers, KPMG et Ernst & Young. Elle sera débattue lundi.