(Ottawa ) Le premier ministre Justin Trudeau accuse le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre d’avoir sciemment cultivé des liens avec des groupes misogynes dans le but de remporter la course au leadership de son parti.

M. Trudeau a lancé cette accusation à la Chambre des communes au terme d’un échange explosif avec le chef conservateur dans la foulée des révélations de Global News selon lesquelles les nombreux vidéos sur la chaîne YouTube de M. Poilievre incluaient un mot-clic tiré d’un mouvement internet associé à la misogynie à des fins de référencement.

Le mot-clic en question, #MGTOW, est un acronyme pour le groupe « Men going their own way » et il s’est retrouvé comme « balise intégrée » dans les quelque 50 vidéos de M. Poilievre produites au cours des quatre dernières années et durant la course à la direction du Parti conservateur. Cet outil permet d’augmenter la visibilité des vidéos en ciblant des individus qui partagent les mêmes intérêts.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau

Le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) a affirmé dans son rapport annuel publié en 2021 que ces groupes représentaient une menace réelle. « L’extrémisme violent à caractère idéologique (EVCI) constitue un enjeu d’envergure et un problème de société qui requiert une stratégie pangouvernementale », peut-on lire dans le rapport.

« Les tenants de l’EVCI sont mus par une série d’influences plutôt que par un seul système de croyances. Des opinions extrémistes de nature raciste, misogyne et antiautoritaire combinées à des récriminations personnelles peuvent conférer à quelqu’un la volonté de mobiliser d’autres personnes, de les inciter à commettre des actes de violence ou de leur donner les moyens de passer à l’action. Le SCRS et ses partenaires de l’appareil du renseignement et de l’application de la loi jouent un rôle de premier plan dans la lutte du gouvernement contre la menace liée à l’EVCI », ajoute-t-on aussi dans le rapport.

Pierre Poilievre a choisi d’aller chercher des groupes anti-femme, misogynes, extrémistes de droite pour avancer son agenda politique. C’est absolument inacceptable. Il doit non seulement s’expliquer, mais s’excuser auprès des femmes canadiennes.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« C’est complètement indigne de n’importe quel politicien canadien et j’espère qu’il va s’excuser. J’espère qu’il va comprendre que c’est inacceptable au Canada », a-t-il aussi lâché.

Le bureau de M. Poilievre a affirmé que le chef conservateur n’était pas au courant que ce mot-clic était associé à ses vidéos sur la chaîne You Tube. Il a ajouté qu’il avait été retiré de ses vidéos.

Mais cela n’a pas empêché le premier ministre Justin Trudeau d’attaquer le chef conservateur durant la période de questions aux Communes.

« N’eût été Global News, on n’aurait jamais appris que le chef conservateur a sciemment utilisé ses vidéos pour courtiser les groupes de droite extrémistes et misogynes sur le web. Ce sont des mouvements anti-femmes et ils ont des conséquences dévastatrices dans la vie des femmes. Je somme le chef du Parti conservateur de se lever dans cette Chambre, de prendre ses responsabilités et de présenter ses excuses », a lancé Trudeau.

M. Poilievre a riposté qu’il condamnait fermement toute organisation qui prêche la haine envers les femmes. Et il est passé à l’attaque. « Je condamne cette organisation. J’ai corrigé le problème dès que cela a été porté à mon attention. Mais je condamne toute forme de misogynie, y compris quand le premier ministre a congédié la première femme autochtone de son cabinet. Je le condamne aussi d’avoir maltraité les femmes des minorités culturelles dans son propre parti. Et je le condamne aussi quand il s’est déguisé en portant des costumes racistes tellement souvent qu’il en a oublié le nombre de fois. »

« Le choix qu’a fait le chef conservateur en tendant des perches à des groupes extrémistes sur le web, des groupes qui sont contre les femmes et misogynes pour des gains politiques, il devra s’en expliquer. Les femmes partout à travers le pays veulent savoir pourquoi il a laissé cela se produire. Il doit prendre ses responsabilités », a dit le premier ministre.

Avant la période de questions, des députées libérales ont aussi vivement dénoncé cette situation, invitant les femmes du Parti conservateur à exiger des comptes à leur nouveau chef.

La députée bloquiste Christine Normandin a aussi déploré la tactique. « C’est assez parlant, l’utilisation de ce mot-clic. On ne peut pas vraiment parler d’un accident », a-t-elle laissé tomber en entrevue.

À son avis, on ne peut accorder le bénéfice du doute à Pierre Poilievre : « J’aurais de la difficulté à le faire compte tenu de l’importance qu’il a accordée à sa campagne web. Il devait être minimalement au courant.»

Et s’il ne l’était pas, au courant, « qu’il s’explique », ajoute-t-elle.

Le ministre de la Justice, David Lametti, s’est dit outré de voir que de tels outils ont été utilisés par le chef conservateur pour faire mousser sa candidature durant la course à la direction du parti.

Le réseau Global News s’est servi d’un logiciel sophistiqué qui permet de vérifier le code source des pages web des vidéos pour découvrir un mot-clic tiré d’un mouvement internet associé à la misogynie à des fins de référencement.

Avec la collaboration de Mélanie Marquis, La Presse