(Ottawa) Le gouvernement du Canada planche avec ses alliés sur un régime de sanctions à infliger aux gangs de rue qui sèment la terreur en Haïti, de même qu’à leurs commanditaires.

Il y avait déjà la violence armée et la pénurie de carburant. Vient de s’y ajouter, comme conséquence directe, une résurgence du choléra qui fait craindre le pire. Haïti est plongé dans un véritable chaos social et politique, dont le Canada et ses partenaires des Amériques veulent tenter de l’extirper.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, profitera de son passage à l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA) à Lima, au Pérou, pour essayer de dénouer l’impasse.

Ce qu’il y a de plus urgent : négocier une trêve humanitaire pour mettre fin au blocage du terminal de Varreux, à Cité-Soleil, signale la cheffe de la diplomatie du Canada dans un entretien depuis la capitale péruvienne.

Ça fait 21 jours que c’est bloqué, que les gens n’ont pas accès à du carburant, n’ont pas accès à l’eau potable. Il y a une résurgence de choléra présentement en Haïti, et la vie des enfants, en particulier, est en danger.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

En plus de perturber les activités quotidiennes, l’absence de carburant empêche les hôpitaux et les ambulances de fonctionner normalement, en plus de forcer les entreprises de traitement et de distribution d’eau à interrompre leurs activités.

L’UNICEF a d’ailleurs averti mardi que la réapparition du choléra en Haïti, « après trois ans sans un seul cas signalé, mena[çait] le bien-être et la santé de 1,2 million d’enfants vivant dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince ».

« L’impunité a assez duré »

C’est la bande criminelle G9, menée par son chef Jimmy Chérizier, alias Barbecue, qui est derrière ce blocus portuaire. Et Chérizier est le genre de personne – il est déjà sanctionné par Washington – que l’on voudrait frapper de sanctions, autant que faire se peut.

Les États-Unis et le Mexique ont concocté une résolution qui est actuellement à l’étude au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle pourrait être mise aux voix le 21 octobre.

« Les sanctions viseraient des personnes qui participent à la corruption et qui sèment la violence. L’impunité a assez duré », soutient la ministre Joly, sans vouloir s’avancer sur le type de personnes ou d’entités qui pourraient se retrouver sur une liste canadienne.

« On travaille plusieurs pays ensemble, on s’échange des informations, comme on a fait dans d’autres cas, comme la guerre en Ukraine : on a travaillé avec l’Union européenne et avec les États-Unis. Le but, c’est qu’on soit coordonnés »,
enchaîne-t-elle.

Crise politique

Évidemment, il y a toujours en trame de fond l’enjeu de la gouvernance.

Le premier ministre Ariel Henry, qui est premier ministre intérimaire depuis que Jovenel Moïse l’a désigné, deux jours avant son assassinat, le 7 juillet 2020, gouverne à coups de décrets. C’est lui qui a mis le feu aux poudres en supprimant les subventions aux prix du carburant.

Le Canada reconnaît-il sa légitimité ?

PHOTO RICHARD PIERRIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestants exigeant la démission du premier ministre Ariel Henry, à Port-au-Prince, lundi

La ministre des Affaires étrangères élude la question : « Nous, on travaille avec les forces politiques qui sont en place ». Mais chose certaine, « le statu quo ne peut pas durer », et il faut en arriver à « une transition démocratique en Haïti », insiste-t-elle.

Aux États-Unis, des groupes de la société civile et des élus ont exhorté le président Joe Biden et le secrétaire d’État Antony Blinken à larguer Ariel Henry. C’est plus facile à dire qu’à faire, selon un observateur aguerri de la politique haïtienne qui a préféré garder l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

« Si Joe Biden dit : ‟OK, on te dompe”, qui est responsable demain matin ? La personne qui dit qu’Ariel Henry n’a plus sa confiance devient le boss. Alors si c’est les Américains, ce sera à eux de l’assumer et d’envoyer des troupes pour assurer la sécurité [You break it, you own it] », illustre ce spécialiste.

Si Ariel Henry partait, « il n’y a aucune continuité constitutionnelle » : il faudrait que « quelqu’un lève la main, se dise premier ministre, puis cherche une reconnaissance internationale », et il n’y aurait aucune base pour la lui offrir, ajoute l’expert.

L’Assemblée nationale de l’OEA se tenait mercredi et jeudi à Lima.

L’OEA est le principal forum multilatéral de l’hémisphère avec 34 États membres à son actif. Le Canada en est membre depuis 1990.

En savoir plus
  • 50 000
    Nombre d’enfants et de nouveau-nés haïtiens risquant d’être privés de soins médicaux dans les semaines à venir
    source : UNICEF