(Ottawa) Le gouvernement libéral fédéral a accepté de fournir des documents sensibles du conseil des ministres à l’enquête qui examinera son recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à l’occupation du « convoi de la liberté » l’hiver dernier à Ottawa.

La Commission sur l’état d’urgence a indiqué mardi que le gouvernement avait accepté une demande de ne pas invoquer le « privilège du Cabinet » pour les documents que le premier ministre Justin Trudeau et ses ministres ont pris en compte lorsqu’ils ont décidé de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence.

Elle indique que le gouvernement s’est engagé à prendre la décision extraordinaire de fournir « tous les éléments dont disposait le Cabinet » lorsqu’il a décidé de déclarer l’état d’urgence en février, des semaines après le début des manifestations au centre-ville d’Ottawa et des blocus aux passages frontaliers.

La commission note que ce n’est que la quatrième fois dans l’histoire du Canada qu’un gouvernement décide d’accorder un tel accès à une commission d’enquête. Elle indique qu’elle n’a pas encore reçu les documents, mais s’attend à ce qu’ils arrivent « sous peu ».

L’enquête tiendra des audiences publiques cet automne et devrait publier un rapport final d’ici février 2023.

Le commissaire qui doit faire la lumière sur l’utilisation par le gouvernement fédéral de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à l’occupation du « convoi de la liberté » a par ailleurs accordé mardi un statut d’intervenants aux organisateurs des manifestations, aux corps policiers et à des représentants de trois ordres de gouvernement.

Le juge Paul S. Rouleau, de la Cour d’appel de l’Ontario, qui préside la Commission sur l’état d’urgence, a publié mardi la liste des personnes qui obtiendront à l’avance des informations soumises en preuve avant l’enquête. Ces intervenants bénéficieront de certains privilèges, comme la possibilité de suggérer la convocation de témoins et de les contre-interroger.

Les instances qui ont obtenu le droit de participer à part entière à l’enquête publique comprennent les gouvernements du Canada, de l’Alberta et de la Saskatchewan, les Villes d’Ottawa et de Windsor, en Ontario, le Service de police d’Ottawa ainsi que la Fédération de la police nationale, qui représente les policiers de la GRC. La Police provinciale de l’Ontario a été autorisée à participer pleinement, sauf pour contre-interroger des témoins ou produire des documents d’orientation.

Le juge Rouleau invite aussi 10 personnes qui ont organisé le « convoi de la liberté », dont Tamara Lich, Tom Marazzo et Chris Barber. Mme Lich, qui, avec M. Barber, fait face à des accusations criminelles liées à ces manifestations, a été arrêtée lundi en Alberta pour violation de ses conditions de remise en liberté sous caution, a annoncé la police d’Ottawa.

Le juge Rouleau a accordé la « qualité pour agir » à ces leaders, ainsi qu’à un organisme sans but lucratif appelé « Freedom 2022 Human Rights and Freedoms », en raison de leur « rôle clé dans les évènements qui ont mené à la déclaration de l’état d’urgence » par le gouvernement fédéral.

Mais il a refusé la demande d’invitation de divers autres participants et partisans du convoi, dont certains ont vu leurs comptes bancaires gelés en vertu de la loi d’exception. Le juge estime que « le simple fait d’être témoin d’évènements pertinents ne justifie pas en soi l’octroi de la qualité pour agir » devant la commission.

Non aux conservateurs

Le juge Rouleau a également rejeté la demande des conservateurs fédéraux. Le parti souhaitait participer au motif que les travaux de la commission auraient un impact considérable sur les députés actuels et futurs. Dans sa demande, le Parti conservateur plaidait qu’il avait « un intérêt direct et réel à l’égard de l’enquête pour des raisons liées à sa réputation ».

Le juge écrit dans sa décision que le parti n’avait pas démontré en quoi ses intérêts sur une gamme de questions factuelles et de politique publique diffèrent de ceux de la population en général.

Le commissaire explique que l’enquête doit rester un processus indépendant et non partisan, soulignant qu’un comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat avait été chargé d’examiner l’utilisation des pouvoirs de la Loi sur les mesures d’urgence.

« Nous respectons la décision du commissaire, mais nous ne faisons pas confiance à ce gouvernement libéral pour être transparent ou responsable, et nous continuerons à utiliser tous les moyens à notre disposition pour nous assurer que le gouvernement libéral rend des comptes », a indiqué dans un communiqué Dane Lloyd, porte-parole conservateur en matière de préparation aux situations d’urgence.

« Nous avons demandé au gouvernement de renoncer au secret ministériel et de participer sans se cacher derrière des outils juridiques. Les Canadiens n’ont toujours pas reçu cet engagement du gouvernement Trudeau. »

L’ex-chef de police Sloly

Dans sa décision, le juge Rouleau n’aborde pas la nature précise de la participation du gouvernement fédéral à la commission ni la question de savoir si des ministres seront appelés à témoigner lors d’audiences publiques.

En plus des groupes qui ont obtenu un statut complet, d’autres entités, dont l’Association canadienne des chefs de police, des associations commerciales d’Ottawa, des organisations patronales et de la société civile ont obtenu un statut partiel, qui leur permettra de ne présenter que certains types de soumissions.

L’ancien chef de la police d’Ottawa, Peter Sloly, qui avait démissionné le lendemain du jour où Ottawa a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, sera autorisé à produire des documents factuels, à présenter des observations sur des questions de fait, de preuve et d’élaboration de politiques, et de participer à des tables rondes ou à des discussions sur l’élaboration de politiques. Le gouvernement du Manitoba a quant à lui été autorisé à fournir des observations écrites.

Le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a décrété la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février, une semaine après que les manifestants ont bloqué pour la première fois le pont Ambassador, entre Detroit et Windsor, et plusieurs semaines après ce qu’il a appelé « l’occupation illégale » du centre-ville d’Ottawa par des manifestants contre les mesures sanitaires.

C’était la première fois qu’un gouvernement invoquait la loi depuis son adoption en 1988. Les mesures temporaires prévues par cette loi accordaient aux autorités une plus grande latitude pour procéder à des arrestations, imposer des amendes, remorquer des véhicules et geler des avoirs.

Le 21 février, le Nouveau Parti démocratique s’est joint aux libéraux dans une motion aux Communes affirmant la décision du gouvernement d’avoir recours à ces pouvoirs extraordinaires. Le gouvernement Trudeau a révoqué la loi d’urgence deux jours plus tard, le 23 février.

La Loi sur les mesures d’urgence exige dans son libellé la création d’une commission pour examiner par la suite les circonstances qui ont mené à la déclaration et les mesures prises pour faire face à la situation d’urgence. Cette commission, créée le 25 avril par le premier ministre, doit remettre un rapport final au Parlement d’ici le 20 février 2023.