(Québec ) Le Parti québécois (PQ) accuse François Legault d’avoir « abandonné sciemment, de façon calculée », la réforme du mode de scrutin pour « s’assurer d’une domination totale » lors des prochaines élections. Le député Pascal Bérubé y voit une « menace à la démocratie » et sonne l’alarme à six mois du scrutin.

« On se retrouve aujourd’hui dans une situation, avec les derniers sondages, où on peut anticiper une crise démocratique importante au Québec, une distorsion sans précédent, entre les intentions de vote réelles et la représentation à venir de la prochaine législature », a lancé mardi le député de Matane-Matapédia, aussi porte-parole de la réforme des institutions démocratiques pour le PQ.

« La CAQ, avec un peu plus de 40 % des voix, pourrait se retrouver avec une centaine de sièges sur 125, c’est une disproportion qui fait peur », indique M. Bérubé.

Selon M. Bérubé, il « semble acquis » que le prochain gouvernement ira chercher moins de 50 % des voix.

Je veux dire [aux Québécois] qu’à quelques mois d’une élection, voici ce qui se profile : un déficit démocratique important où un gouvernement vainqueur, avec autour de 40 % des voix, pourrait avoir 100 sièges […], et ça pose bien des questions sur le rôle des parlementaires et sur la démocratie.

Pascal Bérubé, député du Parti québécois

La popularité du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) ne fléchit pas, selon le dernier sondage Léger, publié dans les médias de Québecor, tandis que le Parti québécois et le Parti libéral du Québec (PLQ) sont en recul. Les projections du site Québec125 donneraient un seul siège au PQ au lendemain du scrutin d’octobre, selon le mode de scrutin actuel, a expliqué M. Bérubé devant les journalistes.

« J’aurais pu faire le choix de ne pas vous parler de ça, mais c’est préoccupant et ça explique pourquoi [le gouvernement a] renié un engagement électoral, puis ils sont morts de rire de ça », a admis M. Bérubé, qui sollicitera un nouveau mandat en octobre prochain.

Un « système malade », selon Nadeau-Dubois

Le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a affirmé pour sa part mardi que le « système démocratique […] est malade », que François Legault a rompu avec sa promesse en prenant le pouvoir en 2018. « François Legault a déjà été d’accord avec moi là-dessus. Je l’ai regardé dans les yeux, il a signé une entente avec nous et il a rompu sa parole. Il a brisé sa promesse », a-t-il dit.

Le gouvernement Legault a renoncé à son engagement électoral d’adopter une réforme du mode de scrutin. En septembre 2019, la ministre Sonia LeBel a présenté le projet de loi 39 vers l’établissement d’un nouveau mode de scrutin, mais le texte législatif n’a pas été soumis à l’étude des parlementaires.

Mme LeBel croit de son côté que la CAQ a rempli sa promesse et dit mission accomplie. La commission des institutions étudiait aujourd’hui à Québec le volet de la réforme des institutions démocratiques. « Je considère qu’on a rempli l’engagement », a-t-elle affirmé à ce moment. À son avis, le simple dépôt du projet de loi est suffisant pour crier victoire.

François Legault avait pourtant promis en 2018 qu’il modifierait le mode de scrutin avant les élections générales de 2022, et qu’il ne ferait pas un Justin Trudeau de lui-même. Mais la CAQ a finalement fait le choix de « tourner la page » en raison de la pandémie, a dit Mme LeBel.

Lorsqu’il était dans l’opposition, le ministre Simon-Jolin Barrette était d’ailleurs très critique du Parti libéral, qui est également contre la réforme du mode de scrutin. Il accusait le PLQ de placer ses intérêts avant ceux du Québec. « Nous souhaitons implanter un mode de scrutin proportionnel mixte afin que chaque voix compte, que chaque Québécois ait sa voix », disait-il. Un autre ministre du gouvernement Legault, le député de Chambly, Jean-François Roberge, était lui aussi un ardent partisan de cette réforme. « Aux dernières élections [de 2014], le Parti libéral du Québec a fait élire 70 députés et obtenu 56 % des sièges de l’Assemblée nationale, en obtenant seulement 42 % des votes exprimés », déplorait-il.

En commission parlementaire, le député caquiste Donald Martel a de son côté affirmé que l’abandon du projet de loi lui avait donné « l’occasion de réfléchir ». Lorsqu’on regarde ce qui s’est passé aux États-Unis, en France, en Israël, a-t-il dit, est-on vraiment certain que la réforme est meilleure que la situation actuelle ? De toute façon, a-t-il ajouté, ce recul n’a suscité aucun appel de citoyens furieux à son bureau de circonscription.

Le premier ministre François Legault a également expliqué que la CAQ avait tourné le dos au projet en raison de l’indifférence des Québécois. « J’ai toujours dit que j’écoute les Québécois, mais ce que j’entends des Québécois, c’est, à part quelques personnes qui sont dans la bulle politique, il n’y a pas d’appétit, dans la population en général, pour changer le mode de scrutin », a-t-il lancé mardi.