(Québec) Les caribous sont de compétence provinciale, selon le premier ministre François Legault, qui estime que le dossier de la sauvegarde de cette espèce menacée est « sous contrôle » grâce à son gouvernement, mais l’argument est battu en brèche par des constitutionnalistes.

« Nous, selon nos juristes, c’est clairement, les caribous, un champ de compétence du gouvernement du Québec, pas du gouvernement fédéral », a lancé M. Legault mercredi lors d’une conférence de presse au sujet du développement énergétique à Gaspé.

M. Legault assure que son gouvernement veut trouver le bon équilibre entre les quelque 5000 caribous forestiers toujours en vie et l’industrie forestière qui pourrait souffrir de l’ajout d’aires protégées. « Sur le fond, on essaie de trouver un équilibre. Aujourd’hui, il reste 5000 caribous, il en reste 35 en Gaspésie, c’est une espèce menacée. Maintenant, il y a aussi des emplois dans le secteur de la forêt qui sont en jeu », a-t-il dit.

M. Legault se défend de ne rien faire pour stopper le déclin de l’espèce emblématique puisqu’il se trouve dans un bras de fer avec Ottawa, qui souhaite préserver son habitat au plus vite.

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Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a lancé la semaine dernière un ultimatum à Québec qui expirait mercredi. Sans nouvelles mesures, il interviendra par décret pour protéger le territoire du caribou.

Le gouvernement Legault prétend toutefois que la protection de cette espèce relève exclusivement du gouvernement du Québec, mais l’argument est critiqué par des constitutionnalistes.

« Invraisemblable »

« C’est invraisemblable. Les caribous, en soi, ce n’est pas une compétence. La protection de l’environnement, dont celle des espèces menacées dont les caribous font partie, est un domaine de droit partagé entre Ottawa et la province, et la loi fédérale a même prépondérance en cas de conflit avec celle d’une province », note le constitutionnaliste Maxime St-Hilaire, professeur à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.

Il souligne que « les caribous peuvent donc relever de la loi fédérale, sur les espèces en péril, par exemple », et note que « le caribou forestier est classé espèce menacée à l’échelle nationale en vertu de la loi fédérale depuis 2003 ».

Dans ce dossier, il y a eu un effort de collaboration d’Ottawa avec le Québec, et ça n’a pas porté ses fruits. M. Guilbeault envisage une intervention fédérale comme une mesure de dernier recours, et il lance encore malgré tout une invitation au gouvernement du Québec pour se préoccuper davantage de la question, sur la menace qui pèse sur le caribou.

Benoît Pelletier, ancien ministre et constitutionnaliste à l’Université d’Ottawa

Benoît Pelletier ajoute qu’il est difficile de prétendre que le gouvernement du Canada n’a pas son mot à dire sur la sauvegarde du patrimoine naturel du pays, alors qu’il est signataire de conventions internationales sur la diversité biologique et qu’il exploite des parcs nationaux.

À son avis, le gouvernement Legault a choisi un mauvais combat, et s’il décide de contester un hypothétique décret du ministre Guilbeault, il risque fort de s’y casser les dents.

Pas de lettre

Par ailleurs, le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, n’a finalement pas envoyé de lettre au ministre Steven Guilbeault pour expliquer les mesures que le Québec avait prises et compterait prendre pour aider la population du caribou à reprendre du poil de la bête.

Mercredi dernier, il s’était pourtant engagé à envoyer une missive avant la fin de semaine. Son cabinet a expliqué que la situation avait changé. « Le dossier évolue depuis la semaine dernière », a expliqué le responsable des communications du ministre, Michel Vincent, dans un échange écrit.

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Pierre Dufour, ministre provincial des Forêts, de la Faune et des Parcs

Il souligne que c’est la ministre provinciale des Relations canadiennes, Sonia LeBel, qui est maintenant responsable « pour la suite des choses ». Du côté du cabinet de Mme LeBel, Florence Plourde affirme que « des échanges » ont eu lieu avec le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, et que des « discussions se poursuivent autant sur le plan politique [que sur le] plan administratif ».

M. Dufour s’était retrouvé sur la sellette la semaine dernière après avoir critiqué une communauté innue, qu’il a tenue en partie responsable de la chute de la population de caribous à la suite d’une chasse où 50 bêtes ont été abattues.

Sur le fond, toutefois, le problème demeure. Le gouvernement Legault n’entend pas mettre de l’avant de plan concret pour préserver l’espèce menacée, même s’il ne resterait que 5250 caribous forestiers au Québec. Il veut plutôt attendre les recommandations de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, qui vient d’entreprendre ses travaux.

Le ministre fédéral Steven Guilbeault, lui, demande plutôt des mesures rapides pour protéger l’habitat du caribou, malmené par l’industrie forestière.