(Québec) Le gouvernement Legault ne croit pas que son ouverture au morcellement des terres agricoles favorise l’étalement urbain et estime que cette crainte, formulée par l’Union des producteurs agricoles (UPA), est basée sur des « raccourcis ». Des voix se rangent toutefois derrière le syndicat et exigent des garde-fous.

« Les craintes que je peux lire, honnêtement, c’est davantage dans l’interprétation un peu, ou l’imagination de l’interprétation qu’on peut faire en faisant peut-être des raccourcis », affirme le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, en entrevue avec La Presse.

Il se porte à la défense du projet de loi omnibus sur la réduction du fardeau administratif, déposé par sa collègue Lucie Lecours, ministre déléguée à l’Économie, qui propose ce morcellement pour soutenir le développement des petites fermes. M. Lamontagne sera présent lors de l’étude article par article de la pièce législative à la demande des partis de l’opposition.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

L’objectif de Québec : aider les villages qui se dévitalisent et permettre à la relève agricole d’obtenir des terres de la bonne dimension. Le système actuel, déplore le ministre, « rend la vie très difficile à des jeunes qui ont de bons projets » et 25 % des agriculteurs de la relève souhaitent se diriger vers ce modèle alternatif.

Mais comme l’a rapporté La Presse lundi, l’UPA croit que cela ouvre la porte à l’étalement urbain. D’autres voix s’élèvent également pour demander des garde-fous, notamment les partis de l’opposition, Équiterre et l’Institut Jean-Garon.

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M. Lamontagne affirme que Mme Lecours, qui porte le dossier, sera prête à faire des « précisions » dans la loi pour les rassurer. Mais le fond du projet ne changera pas. « Si des jeunes et des moins jeunes présentent un projet porteur pour notre agriculture et la vitalité du territoire, aujourd’hui, on n’a pas les outils pour faire en sorte de le permettre », indique-t-il.

Cheval de Troie

L’Institut Jean-Garon, organisme à but non lucratif voué à la réflexion sur les grands enjeux agroalimentaires, ne s’oppose pas à cet objectif. Mais attention, la modification peut devenir un « cheval de Troie » qui ouvre la voie à de la spéculation immobilière, écrit-il dans son mémoire.

La création de petits lots dans des régions à forte pression d’urbanisation ou de villégiature peut s’avérer une porte ouverte à un usage autre que l’agriculture.

L’Institut Jean-Garon

Même son de cloche chez Équiterre. « Je représente une organisation qui a mis sur pied le réseau de fermiers de famille et qui adhère donc au principe d’une agriculture biologique de proximité, cultivée sur des superficies réduites en comparaison des lots actuels. Je représente aussi une organisation qui s’inquiète du morcellement du territoire sans garantie préalable de conserver la vocation agricole du territoire morcelé », dit son porte-parole, Marc-André Viau.

Il existe des solutions, souligne-t-il, notamment une « fiscalité à l’usage », qui permettrait de réduire les taxes de ceux qui pratiquent réellement l’agriculture tout en taxant davantage les villégiateurs qui profitent d’une maison de campagne. Mais il faut des garanties, affirme-t-il.

Projet de loi « fourre-tout »

C’est également la proposition de Québec solidaire. La députée Ruba Ghazal craint que le gouvernement caquiste essaie d’en « passer une petite vite » : « Il y a un risque d’élargir le périmètre urbain, et ça nous inquiète énormément », a-t-elle dit.

Elle ajoute que dans son ADN, Québec solidaire défend « une agriculture à échelle humaine », mais que « ça ne doit pas se faire n’importe comment », au travers d’un projet de loi omnibus dirigé par le ministère de l’Économie. « La Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) n’aura plus comme seul mandat de protéger le territoire. Elle devra aussi faire du développement économique. C’est une révolution qu’on fait », dit-elle.

Le Parti libéral du Québec se dit favorable au morcellement, mais exige des garanties. La députée Paule Robitaille veut s’assurer que ces terres « demeurent agricoles à moyen et à long terme ». Elle craint un « agenda caché », des motivations secrètes, de promoteurs immobiliers.

Au lieu de faire un [projet de loi] omnibus, il faudrait faire une bonne réforme de la loi.

Paule Robitaille, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière d’agriculture

Du côté du Parti québécois, on croit qu’il faudrait lier le débat sur la place des petites fermes à la « conversation nationale sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire » que tient en parallèle le gouvernement Legault, plutôt que dans un projet de loi « fourre-tout » sur l’économie.

D’autres aspects du projet de loi suscitent l’irritation, notamment un recul sur la transparence : les documents déposés à la CPTAQ pour faire une requête de dézonage, par exemple, ne seront plus disponibles pour le grand public, à moins de faire une demande d’accès à l’information. Le ministre Lamontagne affirme que cette modification est faite à la demande de l’Institut Jean-Garon.

Or, dans son mémoire, l’organisme estime que « les restrictions à l’accès à l’information » du projet de loi « constituent un recul évident ». Ce droit est « un des piliers de la protection de l’environnement, en plus d’être un gage d’une démocratie en santé », écrit l’Institut.