Le nombre de plaintes concernant le discours en anglais du patron d’Air Canada est en voie de battre des records. Le Commissariat aux langues officielles en avait reçu plus de mille vendredi après-midi. Parallèlement, une offre d’emploi pour des agents de bord unilingues a été modifiée.

Jazz Aviation, partenaire régional d’Air Canada, avait cessé d’exiger la maîtrise des deux langues officielles dans une offre d’emploi récemment publiée sur son site internet. « Bien que le bilinguisme (anglais et français) soit préférable, il n’est plus nécessaire de parler français », pouvait-on y lire. Les candidats devaient toutefois « parler couramment l’anglais ».

« Le libellé de l’offre d’emploi en question a été immédiatement corrigé une fois porté à notre attention », a déclaré à La Presse la porte-parole de Jazz Aviation, Manon Stuart. « Celui-ci ne reflète en aucun cas la politique de la compagnie. Même s’il est vrai que le recrutement de candidats bilingues représente un défi, la priorité est toujours donnée aux agents de bord bilingues. »

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L’offre d’emploi consultée jeudi n’exigeait pas la maîtrise du français pour les agents de bord appelés à travailler chez Jazz Aviation, partenaire régional d’Air Canada. Elle été modifiée depuis.

En moyenne, Air Canada fait l’objet de 85 plaintes par année concernant la prestation de services en français, mais le Commissariat en a rarement reçu autant pour une seule affaire. Le record appartient au Service canadien du renseignement de sécurité, qui avait fait l’objet de 1784 plaintes en 1986 pour avoir envoyé un document en anglais seulement à ses bureaux du Québec, selon les archives du Commissariat.

Déjà averti

Le président-directeur général d’Air Canada avait pourtant été mis en garde à plus d’une reprise contre le risque de déclencher une tempête linguistique en prononçant un discours presque uniquement en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, mercredi. Un membre du cabinet du premier ministre François Legault l’avait prévenu du danger. La Presse a pu confirmer vendredi les informations d’abord publiées par Radio-Canada.

Le Commissariat aux langues officielles avait également communiqué avec le bureau du PDG d’Air Canada pour lui demander d’apporter des modifications à son discours, sans succès, a-t-on indiqué à La Presse. Le Devoir a rapporté vendredi que le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, avait anticipé « une certaine controverse ».

« Inacceptable », dit Trudeau

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Justin Trudeau

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau s’est exprimé pour la première fois au sujet de la controverse vendredi.

« Je trouve que c’est une situation inacceptable et je suis content que la ministre des Langues officielles soit en train de faire un suivi », a répondu M. Trudeau à une question de Radio-Canada, alors qu’il sortait d’un édifice du centre-ville d’Ottawa.

Il a par la suite tourné les talons sans répondre à une question sur les demandes de démission dont fait l’objet le président-directeur général.

Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique ont exigé jeudi la démission de Michael Rousseau, en poste depuis moins d’un an. Québec solidaire et le Parti libéral du Québec ont fait de même à l’Assemblée nationale.

5,4 millions de dollars d’indemnité

Le grand patron d’Air Canada ne partirait pas les mains vides si le conseil d’administration décidait de lui montrer la porte.

La valeur de son indemnité de départ serait au bas mot de 5,4 millions, selon les plus récentes modalités de son contrat de travail. Dans l’éventualité d’un « congédiement sans motif sérieux », l’homme d’affaires aurait droit à un paiement en espèces de 2,8 millions, tandis que la valeur de ses autres avantages, dont ses options sur des actions, est estimée à 2,56 millions.

Président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, François Dauphin voit difficilement comment M. Rousseau, grand patron depuis moins d’un an, pourrait être privé de son indemnité de départ s’il devait perdre son poste en raison de la tempête linguistique qu’il a déclenchée.

« Le français ne faisait probablement pas partie des critères de l’embauche, croit-il. C’est difficile de considérer cela comme un motif sérieux a priori. Où cela pose problème, c’est qu’il est en quelque sorte le gardien de la culture chez Air Canada. »

M. Dauphin estime que le grand patron d’Air Canada a été « hautement malhabile », mais que la faute revient aussi au conseil d’administration en raison de son « manque d’encadrement » sur la question linguistique.

Québec écrit à Ottawa

La ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, a écrit cette semaine à la ministre Ginette Petitpas Taylor afin de réitérer la position du Québec sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui « doit mieux encadrer et notamment surveiller Air Canada pour que l’entreprise se conforme à ses obligations », a fait savoir le cabinet de Mme LeBel.

« Nous avons vu la ministre fédérale [des Langues officielles] dénoncer les propos du PDG d’Air Canada. Maintenant, le fédéral doit passer de la parole aux actes. Il est prioritaire que toutes les entreprises, même celles de compétence fédérale, respectent toutes les exigences de la Charte de la langue française », a-t-on ajouté.

La réforme de la Loi sur les langues officielles doit donner plus de pouvoirs au Commissaire pour faire appliquer ses recommandations. La ministre Ginette Petitpas Taylor avait réitéré jeudi l’engagement du gouvernement d’aller de l’avant, sans préciser d’échéancier. Le projet de loi fédéral avait été déposé en juin, soit deux mois avant que le premier ministre Justin Trudeau ne déclenche des élections.