Mélanie Joly a trouvé la bonne expression pour définir son rôle dans la protection du français au Québec : elle est une « alliée ».

Le fédéral ne jouera pas un rôle déterminant. C’est à l’Assemblée nationale que les décisions cruciales se prendront. Mais avec la réforme de Mme Joly, Ottawa pourrait arrêter de nuire, et commencer à aider.

Comme d’autres, j’ai déjà écrit des textes très sévères à son endroit. Mais cette fois, la ministre du Développement économique et des Langues officielles a bien travaillé.

Cela se voyait en entrevue éditoriale avec La Presse cette semaine, où elle présentait ses intentions de réforme de la Loi sur les langues officielles.

Ses réponses allaient au-delà des lignes de presse. Elle maîtrise le dossier, et elle le défend avec conviction.

Je ne veux pas trop m’énerver. Après tout, il ne s’agit que d’un document d’orientation présenté par un gouvernement minoritaire. Le plus dur reste à venir : déposer un projet de loi et le faire adopter.

Mais à tout le moins, c’est bien parti. La preuve, le gouvernement caquiste ne trouve rien à critiquer. Il a prudemment « pris acte » du document.

Ne serait-ce que par ses mots, Mme Joly a déjà été utile.

Elle reconnaît que les deux langues officielles ne sont pas égales. Que le français est à la fois une langue majoritaire au Québec et une langue minoritaire en Amérique du Nord. Qu’il recule et doit être protégé.

Et que c’est plus nécessaire que jamais à cause de la mondialisation et de l’hégémonie de l’anglais sur le web.

Je sais, cette conversion paraît suspecte…

Pour le Parti libéral du Canada, le nationalisme québécois a toujours été un atavisme suspect. On vient même d’apprendre que Pierre Elliott Trudeau songeait en 1976 à hausser le chômage au Québec sous René Lévesque. Une idée infecte.

Pourquoi le gouvernement de son fils s’inquiète-t-il soudainement pour le français ? La pression du Bloc québécois a sans doute aidé. Tout comme la campagne de séduction des conservateurs au Québec.

Mais peu importe la cause, l’important reste l’effet.

Les libéraux envoient maintenant un message important. Non, ce n’est pas un combat d’arrière-garde de vouloir continuer d’exister en français.

Et cela, c’est surtout l’électorat libéral qui doit se le faire rappeler.

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Que penser du projet de réforme de Mme Joly ? Cela dépend des attentes.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles du Canada

L’avenir d’une langue est déterminé par des tendances lourdes, comme la démographie et la culture. Des choses qu’un gouvernement ne contrôle pas entièrement.

De plus, la compétence constitutionnelle d’Ottawa en ces matières est limitée. Elle concerne les communautés francophones hors du Québec et les institutions fédérales dans l’ensemble du pays.

Si les intentions de Mme Joly se concrétisent, les gains seraient modestes, mais indéniables.

On ne pourrait plus nommer de juge unilingue à la Cour suprême, comme Stephen Harper l’a fait en 2011 avec Michael Moldaver.

Les anglophones obtiendraient un meilleur accès aux cours d’immersion en français.

Statistique Canada récolterait des données plus précises pour mesurer le recul d’une langue.

Et dans les entreprises de compétence fédérale (transports, télécommunications, banques), les francophones auraient le droit de travailler et d’être servis dans leur langue. Cela vaudrait pour le Québec et pour les « régions à forte présence francophone ».

Bien sûr, ce n’est pas ce que l’Assemblée nationale demande… Une motion unanime réclamait que le fédéral applique la loi 101. Ç’aurait été préférable. Mais si Mme Joly respecte les ententes avec les quelque 40 % d’entreprises qui se soumettent volontairement aux normes du Québec, et si elle renforce le français dans les autres, le résultat final sera assez semblable.

Le combat le plus important resterait toutefois à faire : faire appliquer cette loi avec des sanctions pour les fautifs.

Ce n’est pas ce qui se passe en ce moment… Le meilleur exemple : Air Canada qui se moque, depuis des décennies, du Commissaire aux langues officielles, sans en payer le prix.

Mme Joly reconnaît ce problème. Elle veut renforcer les pouvoirs du Commissaire et créer une agence au Conseil du Trésor pour surveiller la loi.

Ce serait bienvenu, mais il ne faut pas s’attendre non plus à une révolution démographique ou culturelle.

Dans la haute fonction publique, quand trois francophones parlent avec un anglophone, ils auront encore le réflexe de changer de langue. Pour être gentil, pour ne pas perdre de temps, pour ne pas déplaire.

Quant à la hausse de l’immigration dans les communautés franco-canadiennes, elle ne renversera pas la tendance lourde – leur poids démographique a baissé de 6 % à moins de 4 % depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969.

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Le document d’orientation de Mme Joly n’est pas un ramassis de vœux pieux.

Les solutions sont assez précises. Elle est en train de finaliser les détails. Par exemple, un comité lui remettra un rapport d’ici 60 jours pour savoir comment définir les « régions à forte présence francophone ».

Si elle dépose un projet de loi au printemps, on ne pourra pas l’accuser de s’être traîné les pieds.

La balle sera dans le camp du gouvernement Legault. Ce sera à lui de déposer sa réforme attendue de la loi 101.

La plus belle contribution du fédéral sera alors de ne pas nuire.

Pour cela, il y a des réflexes qui peinent à disparaître. Quand Québec a demandé en 2019 d’assujettir la résidence permanente à la maîtrise du français, le gouvernement Trudeau criait à l’intolérance.

Si Mme Joly veut être une alliée efficace, il ne lui reste qu’à s’assurer que le message soit compris par le reste de son gouvernement.