Notre article sur le nom de famille « Québec », publié à la Saint-Jean, a suscité beaucoup de réactions. Parmi celles-ci, un lecteur nous a mis au défi de faire le même exercice pour la fête du Canada.

Y a-t-il des gens qui s’appellent Canada ? Si oui, depuis quand ? Et où vivent-ils ? Au Canada ou pas ?

Nous avons pris notre lecteur au mot. Et fait quelques intéressantes découvertes, avec l’aide précieuse de Pierre Gendreau-Hétu, chercheur associé au Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

Lisez notre dossier « Pas de Quebec au Québec ? »

Tout d’abord : oui, ce patronyme existe. Selon l’annuaire téléphonique (qui exclut les numéros de cellulaires), il serait porté par seulement cinq personnes au Canada (Mark, Vicki, Mervin, Cecil et Terry Canada), mais par plus de 2200 personnes aux États-Unis, conséquence de la fameuse « grande saignée » qui a vu un million de Canadiens français émigrer en Nouvelle-Angleterre entre 1840 et 1930.

Car c’est bien ici, au Québec, qu’est apparu pour la première fois le nom Canada. Et cela, aussi tôt qu’en 1675, dans la famille Hénault, qui avait choisi ce mot comme 2patronyme.

Il faut savoir que sous le régime français, il était coutume de s’attribuer un second nom de famille en fonction du métier qu’on exerçait. Cette tradition du « nom-dit » se poursuivra après la conquête, sans lien systématique avec la profession, mais tout simplement par habitude ou pour mieux distinguer sa lignée familiale.

Des noms comme Gérin-Lajoie, Beaugrand-Champagne ou Canac-Marquis seraient des vestiges de ce modèle binomique.

C’est ainsi qu’en 1675, un militaire français nommé Jacques Hénault, soldat du régiment de Carignan-Salières, une compagnie de Saurel (Sorel), se voit octroyer le « nom-dit » de Canada, qu’il transmettra à son fils Pierre, et ainsi de suite…

Son nom apparaît notamment dans un document juridique de janvier 1683, où Gilles Boyvinet, lieutenant-général des Trois-Rivières, condamne « Jacques Eneau dit Canada à payer au plaintif, Jean Olivier, sept minots de blé ». Ce qui donne à croire que ce Canada-là n’était pas un saint…

« En général, les matricules anthroponymiques (La Fleur, La Verdure, La Jeunesse, etc.) étaient sélectionnés à même une liste traditionnelle », souligne Pierre Gendreau-Hétu.

PHOTO BRIGITTE BESSON, FOURNIE PAR PIERRE GENDREAU-HÉTU

Pierre Gendreau-Hétu, chercheur associé au Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal

Pourquoi Jacques Hénault a-t-il hérité de ce nom-dit inédit dans les rangs de l’armée française de l’Ancien Régime ? Mystère. Mais la langue est un artisanat et, de toute évidence, il y avait de la place pour l’improvisation.

Pierre Gendreau-Hétu, chercheur associé au Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal

Sauf erreur, la famille Hénault sera la seule à porter ce nom-dit. Canada disparaît des registres civils de la province vers 1840, ce qui correspond aux premières années de l’exode québécois en Nouvelle-Angleterre et explique vraisemblablement sa présence actuelle aux États-Unis.

Tous les Canada américains seraient des descendants de Jacques Hénault.

Parce qu’ils venaient de Québec…

L’origine des « Québec » repose également sur un nom-dit.

La première attestation du patronyme ne date toutefois pas de 1850, comme nous l’avions écrit, mais bien de 1691 (!) avec l’apparition d’un certain « Lemoine dit Québec », originaire de Saint-Thual-Treguer, en Bretagne. Cette souche restera toutefois isolée et apparemment sans lignée.

Les premiers Québec à avoir vraiment « essaimé » seraient donc la famille « Migneron dit Québec », qui apparaît en 1792 avec un certain « François Migneron dit Québec ». Puis la famille « Lavallée dit Québec » – évoquée dans notre recherche initiale – qui apparaît pour sa part en 1809 avec « Michel Kébec Lavallée », citoyen de Verchères et cultivateur de son état.

IMAGE TIRÉE DU REGISTRE DE LA POPULATION DU QUÉBEC ANCIEN

Acte de baptême de Michel Amable Kébec, où apparaît pour la première fois le patronyme Lavallée dit Kébec, en 1809

« On sait que cette souche s’est perpétuée jusqu’à maintenant, au Canada anglais notamment. Alors que je ne crois pas que Migneron ait fait de même », suggère Pierre Gendreau-Hétu.

Fait à noter : François Migneron et Michel Lavallée venaient respectivement de Sainte-Foy et de Saint-François-de-l’Île-d’Orléans, dans la région de Québec. Ce qui explique vraisemblablement ce choix de nom-dit, une fois qu’ils eurent déménagé dans la région de Montréal. « C’était en référence à leur origine », confirme M. Gendreau-Hétu.

IMAGE TIRÉE DU REGISTRE DE LA POPULATION DU QUÉBEC ANCIEN

Acte de mariage de Catherine Migneron dite Québec, fille de François Migneron, en 1797

Dans tous les cas, le patronyme va disparaître des écrans radars québécois en 1909, quand il émerge pour la dernière fois sur les registres, registres que le clergé tenait d’ailleurs avec dévouement. Il se prolongera cependant dans l’Ouest et en Nouvelle-Angleterre, où il existe encore aujourd’hui.

Du hockey à la danse

D’autres lecteurs nous ont lancé sur des pistes intéressantes.

Robert Lemay nous a signalé l’existence de Brian Quebec, contrebassiste de jazz établi à Sudbury.

André Bourdage, un amateur de sports, nous a dirigé vers Mathew Quebec et Greg Quebec, deux joueurs de hockey ayant fait carrière dans les mineures, le premier originaire d’Alberta et le second, du Maine.

Joël Drapeau nous a lancé, pour sa part, sur la piste d’un certain Nicolas Québec, pionnier de la danse classique ayant travaillé avec le ballet russe du marquis de Cuevas et l’American Ballet Theatre dans les années 1940.

« Bien sûr, il s’agissait d’un pseudonyme de scène, chose fréquente à l’époque, écrit M. Drapeau. Mais par ce choix de patronyme, il fut un fier ambassadeur, de par le monde, du nom de notre province, et cela, bien avant la fièvre nationaliste des années 1970. »

PHOTO FOURNIE PAR LA BIBLIOTHÈQUE DE LA DANSE VINCENT-WARREN

Roland Lorrain en 1962, un homme passionné par le ballet et les mots, aussi connu sous le nom de Nicolas Québec

De son vrai nom Roland Lorrain (1919-2012), Nicolas Québec fut par ailleurs journaliste à La Presse et au Devoir dans les années 1960, un détail digne d’intérêt.

Daniel Navratil, enfin, se demande avec humour s’il y a des Ontario en Ontario, des Manitoba au Manitoba et des Saskatchewan en Saskatchewan. Bonne question… que nous laisserons aux bons soins de nos collègues des provinces de l’Ouest.

Bonne fête du Hénault-Canada !