(Ottawa) De l’arrivée de Jacques Cartier à Gaspé à la bataille de Québec en passant par la Grande Paix de Montréal, le gouvernement fédéral s’est lancé dans une opération de réécriture de plus de 200 plaques historiques, y compris une trentaine au Québec, afin de corriger des erreurs factuelles ou de revoir des « suppositions coloniales », entre autres.

« Cette désignation fera l’objet d’une revue. »

La mention figure dans certaines pages web du répertoire des désignations d’importance historique nationale de Parcs Canada, où sont recensées les plaques que la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a installées sur des sites aux quatre coins du pays.

  • Plaque de William Osler :
« William Osler naquit à Bond Head (Haut-Canada) et étudia la médecine à McGill, puis en Europe. Il commença une carrière remarquable dans l’enseignement et la médecine clinique à McGill (1874-1884) et devint par la suite le premier professeur de médecine à l’université Johns Hopkins (1889) et Regius Professor of Medicine à Oxford (1905). Par ses nombreux écrits et son dynamisme, il exerça une influence considérable sur la philosophie et la pratique de la médecine de part et d’autre de l’Atlantique. Ses essais rejoignirent un vaste public et en firent l’une des figures médicales les plus connues de son temps. »

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Plaque de William Osler :
    « William Osler naquit à Bond Head (Haut-Canada) et étudia la médecine à McGill, puis en Europe. Il commença une carrière remarquable dans l’enseignement et la médecine clinique à McGill (1874-1884) et devint par la suite le premier professeur de médecine à l’université Johns Hopkins (1889) et Regius Professor of Medicine à Oxford (1905). Par ses nombreux écrits et son dynamisme, il exerça une influence considérable sur la philosophie et la pratique de la médecine de part et d’autre de l’Atlantique. Ses essais rejoignirent un vaste public et en firent l’une des figures médicales les plus connues de son temps. »

  • Plaque de Jacques Cartier à Gaspé :
« Le 14 juillet 1534, deux navires commandés par Jacques Cartier, de Saint-Malo, se sont réfugiés dans la baie de Gaspé, où un groupe d’Iroquois de Stadaconé (aujourd’hui Québec) faisait la pêche. Cartier y établit des rapports amicaux avec eux. Le 24 juillet, il érigea sur le rivage de Gaspé une croix aux armes de François Ier. C’est sur ce geste que s’appuiera la France dans ses réclamations territoriales en Amérique. Le lendemain, Cartier reprit la mer, emmenant avec lui les deux fils du chef Donnacona, qui devaient lui servir de guides lors de son deuxième voyage au Canada. »

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Plaque de Jacques Cartier à Gaspé :
    « Le 14 juillet 1534, deux navires commandés par Jacques Cartier, de Saint-Malo, se sont réfugiés dans la baie de Gaspé, où un groupe d’Iroquois de Stadaconé (aujourd’hui Québec) faisait la pêche. Cartier y établit des rapports amicaux avec eux. Le 24 juillet, il érigea sur le rivage de Gaspé une croix aux armes de François Ier. C’est sur ce geste que s’appuiera la France dans ses réclamations territoriales en Amérique. Le lendemain, Cartier reprit la mer, emmenant avec lui les deux fils du chef Donnacona, qui devaient lui servir de guides lors de son deuxième voyage au Canada. »

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Au cours des trois prochaines années, près de 10 % de ces plaques moulées en bronze ou installées au pays sur un panneau, soit 208 sur 2192 – dont 35 se trouvent sur le territoire québécois – seront réexaminées et réécrites sous la houlette de l’organisme fédéral.

Pourquoi ?

« Une revue a lieu pour l’une des raisons suivantes : formulation ou termes désuets, absence d’un aspect important de l’histoire, erreurs factuelles, croyances et comportements controversés ou acquisition de nouvelles connaissances », est-il précisé au bas des pages web des évènements ou personnages visés.

Parmi les plaques boulonnées au Québec qui en font l’objet figurent l’arrivée de Jacques Cartier à Gaspé, en 1534, la signature de la Grande Paix de Montréal, en 1701, la bataille de Québec, en 1755, ainsi que le site de l’ancien village iroquoien d’Hochelaga, près de l’Université McGill.

On retrouve aussi sur le site de l’établissement montréalais une plaque commémorative dédiée à Sir William Osler. Considéré comme l’un des pères de la médecine moderne, il aurait déclaré que le Canada devrait être « un pays de l’homme blanc », selon un article du Journal de l’Association médicale canadienne.

Sinon, ailleurs au pays se retrouvent dans la ligne de mire des personnages comme le premier premier ministre du Canada John A. Macdonald, architecte des pensionnats autochtones, ainsi que nombre de lieux ayant abrité des postes de traite de fourrure ou ayant été le théâtre de batailles.

Le colonialisme, la cible principale

L’existence de ce programme a déjà été révélée par des médias comme le National Post, où un ancien vice-président à la conservation et à la commémoration du patrimoine de Parcs Canada, Larry Ostola, l’a descendu en flammes et a crié au wokisme dans une lettre ouverte parue en novembre 2022.

L’agence La Presse Canadienne a toutefois récemment obtenu plus de détails sur ses objectifs.

La raison la plus courante de la réécriture : des « suppositions coloniales », est-il écrit dans des documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. « Cela fait référence à une forme d’histoire où le progrès de la civilisation occidentale est compris comme inévitable », y énonce-t-on notamment.

Au cabinet du ministre Steven Guilbeault, qui est responsable de Parcs Canada, on rappelle que la démarche amorcée sous sa prédécesseure, Catherine McKenna, s’inscrit dans un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.

« Nous élargissons notre conscience et notre connaissance de l’histoire, nous nous appuyons sur ce qui existait déjà et nous actualisons nos plaques en fonction de ces nouvelles connaissances », a-t-on exposé dans une déclaration écrite.

« Par exemple, les postes de traite des fourrures constituent une partie importante de l’histoire du Québec. Pourtant, les hypothèses antérieures sur l’histoire du Canada ont exclu les peuples autochtones, ce qui ne peut plus être accepté », a-t-on enchaîné.

Nécessaire, mais délicat

L’historien Harold Bérubé, professeur titulaire à la faculté des lettres et sciences humaines à l’Université de Sherbrooke, voit une « pertinence indéniable » au chantier.

Il y aurait quelque chose d’un peu absurde à dire que l’histoire et la mémoire doivent être figées. Les deux sont appelées à changer.

L’historien Harold Bérubé, professeur titulaire à la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke

L’exercice n’est toutefois pas sans périls : celui d’une « relecture qui se ferait selon les besoins de l’État, où on risquerait de tomber dans une sorte de propagande, de lisser le passé », et celui de « succomber à un certain discours militant qui peut parfois aller à l’autre extrême, soit noircir le passé à outrance », a-t-il relevé.

Le député bloquiste Martin Champoux partage cette lecture : le projet est « louable », voire « nécessaire » parce qu’on « découvre toujours de nouveaux faits dans l’histoire », mais il faut faire attention au « danger de succomber à la tentation de réécrire l’histoire ».

Ainsi s’attend-il à ce que Parcs Canada s’y prête « avec grande rigueur » et de manière « apolitique ».

Le Parti conservateur, qui reproche ces jours-ci au gouvernement Trudeau de vouloir effacer l’histoire avec sa nouvelle version du passeport, n’a pas souhaité commenter le processus. Le Nouveau Parti démocratique n’a pas donné suite à notre demande.

Le cas de Jacques Cartier

Le fédéral ne fournit pas de détails sur ce qui justifie l’examen des plaques historiques. À l’heure actuelle, le texte de la plaque à la mémoire de Jacques Cartier vissée sur une croix à Gaspé fait une certaine économie de mentions colonialistes.

Cela en fait un cas de figure intéressant, estime le professeur Harold Bérubé.

« Dire qu’il a découvert ce qui est devenu la Nouvelle-France, fait le premier contact avec les Autochtones, ce n’est pas entièrement faux, mais ce n’est pas toute l’histoire. Il en manque une partie, soit que ça a ouvert la porte à l’occupation du territoire de ces Autochones-là, à leur marginalisation », a-t-il illustré.