(Ottawa) Le gouvernement n’a expulsé aucun diplomate chinois depuis 2018, mais n’hésitera pas à le faire s’il commet de l’ingérence, tranche la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. Ottawa veut aussi « prévenir plutôt que guérir », et un proche du régime chinois l’a appris à ses dépens l’automne dernier, après que son visa d’entrée lui eut été refusé, illustre-t-elle.

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre entendait pour la deuxième fois en près de trois mois la ministre et son collègue Dominic LeBlanc.

Dès les premières minutes de la séance, la tension était palpable.

Le député conservateur Luc Berthold a été rappelé à l’ordre à maintes reprises, car il interrompait son interlocutrice. L’élu voulait savoir combien de diplomates chinois avaient été expulsés du Canada en 2018, puis en 2019, et ainsi de suite.

En réponse à ces questions directes, la ministre Joly a voulu fournir des réponses étoffées, ce qui a donné lieu à des prises de bec à la table du comité.

On a pu l’entendre affirmer, au milieu du brouhaha, que si des représentants de la Chine contrevenaient à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, « jamais [elle] n’hésiterai[t] » à leur montrer la porte. Mais puisqu’on « peut prévenir plutôt que guérir », on peut aussi leur interdire de mettre les pieds au Canada en amont, a-t-elle argué.

C’est ce qui a été fait l’automne dernier, a illustré la ministre, confirmant une information publiée dans le Globe and Mail. Il y a un « niveau de vigilance » plus aigu à ce sujet à Affaires mondiales Canada, a-t-elle expliqué.

À une interlocutrice plus amie, la libérale Ruby Sahota, Mme Joly a plus tard souligné que l’expulsion de diplomates étrangers n’était pas une mesure à prendre à la légère, car ces décisions attirent des représailles.

Et le Canada ne peut pas se permettre de perdre ses yeux et ses oreilles en Chine, car « il faut comprendre comment ils fonctionnent ».

Affrontement Joly-Cooper

La ministre a réaffirmé qu’elle avait eu une discussion avec son homologue chinois, Qin Gang, à propos de l’ingérence chinoise en marge du sommet du G20 en Inde, il y a de cela quelques jours.

J’ai été extrêmement claire. Je l’ai regardé droit dans les yeux, et je lui ai dit que jamais nous ne tolérerons une quelconque forme d’ingérence.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, à propos du ministre des Affaires étrangères de la Chine, Qin Gang

Le député conservateur Michael Cooper s’en est ensuite moqué.

« Vous avez parlé avec fermeté avec votre homologue de Pékin […]. Vous l’avez même regardé droit dans les yeux… je suis certain qu’il était très intimidé », a-t-il balancé.

Sa raillerie a été dénoncée par des députés du comité. « C’est honteux », s’est offusquée la néo-démocrate Rachel Blaney, qui est plus tard revenue sur l’incident.

Des excuses ont été réclamées par les députés libéraux, et avant d’ajourner les travaux, la présidente Bardish Chagger a exprimé son dégoût en des termes assez peu parlementaires.

« Il y a beaucoup de choses autour d’ici qui me font vomir dans ma bouche », a-t-elle laissé tomber.

L’obstruction se poursuit

Avant l’entrée en scène des ministres Mélanie Joly et Dominic LeBlanc, les libéraux continuaient de faire obstruction dans l’espoir d’éviter une comparution de Katie Telford, la cheffe de cabinet du premier ministre Justin Trudeau.

Ils ont chacun vanté l’annonce de la création d’un poste de rapporteur spécial indépendant et remis en doute l’opportunité de lancer une enquête publique indépendante sur l’ingérence étrangère.

Parmi eux, Ruby Sahota en a appelé à la fibre fiscale des conservateurs comme argument contre la tenue d’une enquête. Elle a cité celle qui a été réalisée en 2022 sur la tuerie en Nouvelle-Écosse, laquelle a coûté 25,6 millions.

« J’ose à peine imaginer combien celle-ci coûterait aux contribuables », a-t-elle fait valoir.

Une première enquête ouverte

Comme l’avait commandé le premier ministre, lundi, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a déclenché une enquête « pour évaluer l’état de l’ingérence étrangère ».

Le groupe de parlementaires, dont les membres détiennent une cote de sécurité du niveau le plus élevé et se réunissent à huis clos, se penchera sur la situation au pays depuis 2018.

En Chambre, jeudi, les partis de l’opposition ont continué à marteler que cela n’était pas suffisant, à plus forte raison à la lumière des révélations sur l’existence de deux présumés postes de police chinois au Québec.

C’est une goutte qui fait déborder un vase déjà plein, s’inquiète Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD.

« Ça amène de l’eau au moulin sur le fait que ça prend une enquête publique indépendante. Chaque jour, on en apprend. Y a-t-il autre chose ? », a-t-il déclaré en mêlée de presse au parlement.

Lisez « La GRC enquête sur deux présumés “postes de police chinois” »