(Montréal) La Gendarmerie royale du Canada (GRC) enquête sur deux présumés « postes de police chinois » au Québec qui auraient instauré un « climat de terreur » au sein d’une partie de la diaspora chinoise.

Le corps policier fédéral a confirmé à La Presse l’information d’abord rapportée jeudi matin par Le Journal de Montréal. Les deux établissements visés, selon le quotidien de Québecor, sont le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud, à Brossard, et le Service à la famille chinoise du Grand Montréal, dans la métropole.

« Ce sont de présumés postes de police chinois au Québec. L’enquête a débuté il y a quelques semaines », confirme le sergent Charles Poirier, porte-parole du corps policier fédéral.

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Le sergent Charles Poirier commente l’enquête sur de présumés postes de police clandestins du gouvernement chinois au Québec.

Les deux établissements ne faisaient pas partie de la liste des « postes de police » chinois en sol étranger affiliés à des organisations policières en Chine, telle que publiée par l’ONG espagnole Safeguard Defenders en traduisant des publications officielles chinoises. La GRC avait déjà confirmé cinq établissements en Ontario et dans l’Ouest canadien après la publication de son rapport.

Au Québec, la police dit avoir eu vent que les établissements visés se livrent à de l’intimidation en lien avec le régime du Parti communiste chinois. « On parle de pressions, de menaces voilées ou pas voilées. Il semble même qu’il pourrait y avoir un climat de terreur qui règne dans la diaspora pour certaines personnes. C’est pour ça qu’en cours d’enquête, on corrobore et surtout, on demande l’aide du public. On a besoin de l’information des gens qui subissent des pressions », affirme le sergent Poirier.

Une ligne téléphonique spéciale, le 514-939-8301, a été mise sur pied pour recevoir les signalements à ce sujet. Depuis la publication de la nouvelle jeudi matin, le téléphone sonne. « On essaye de générer des signalements et ça fonctionne », dit le sergent Poirier.

Le porte-parole précise qu’en matière d’ingérence étrangère, la police peut parfois avoir du succès en perturbant les plans d’acteurs malicieux, même si des accusations criminelles ne sont pas portées.

Les deux organismes n’avaient pas encore répondu à une demande d’entrevue de La Presse au moment de publier ces lignes.

Déjà ciblée par le DGEQ

Les deux organismes visés par la GRC au Québec sont présidés par Li Xixi, qui est aussi conseillère municipale de l’opposition à Brossard. La mairesse de la localité, Doreen Assaad, a d’ailleurs révélé jeudi que son parti a porté plainte auprès du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) contre Li Xixi pendant la dernière campagne électorale municipale. Le parti déplorait que la candidate bénéficie de l’implication « active » de Sino-Québec dans la campagne.

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Le Centre sino-Québec de la Rive-Sud est soupçonné par la GRC d’être un poste de police chinois.

« On avait reçu de l’information comme quoi son organisation propageait de l’information en chinois, de façon semi-officielle en utilisant le logo du DGEQ, sur WeChat. J’avais porté plainte. C’est encore en cours d’évaluation », affirme la mairesse.

« Les gens me demandent si je suis surprise par l’enquête de la GRC. Oui, mais j’ai quand même observé des gestes et des comportements durant la campagne électorale qui soulevaient déjà des questions éthiques. En tant que conseillère municipale, Li Xixi a quand même accès à énormément d’informations sur le processus de prise de décisions de la Ville et certaines données », s’inquiète encore Doreen Assaad.

Elle demande donc formellement à la conseillère Li « de se retirer tant que nous n’avons pas de conclusions au niveau de l’enquête ». « Vu les faits allégués, je pense que c’est nécessaire », lance l’élue, qui espère que les autorités « agiront rapidement », quitte à fermer les établissements si elles en voient le besoin. Li Xixi n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse.

La mairesse demande par ailleurs à la population de Brossard de ne pas verser dans les amalgames.

« Je ne voudrais pas qu’on se trouve dans une situation où la communauté chinoise chez nous soit ciblée par ces nouvelles. Les allégations au niveau des gouvernements ou d’un régime, c’est une chose, mais les personnes qui ont choisi de s’installer ne doivent pas en être victimes. Il ne faut surtout pas les isoler ou leur en vouloir », plaide-t-elle.

La députée libérale Alexandra Mendès, qui représente la circonscription où se trouve le Centre Sino-Québec, a été « ébranlée » et « complètement prise de court » d’apprendre que celui-ci faisait l’objet d’une enquête. « J’ai posé la question aux employés de mon bureau de circonscription, et jamais ils n’ont entendu quelqu’un se plaindre qu’il se sentait le moindrement forcé, ou intimidé. Pas du tout. Moi non plus, je n’ai jamais eu écho de cela », s’est-elle exclamée au téléphone.

Réactions à Ottawa

« Ça fait bien des mois qu’on est conscients de [la présence de] postes de police chinois à travers le pays, et on est en train de s’assurer que la GRC est en train de faire des suivis là-dessus et que nos systèmes de renseignement prennent ça au sérieux », a réagi Justin Trudeau jeudi matin à son arrivée au parlement pour la rencontre du Cabinet.

« C’est un enjeu qui nous préoccupe énormément, et ça souligne à quel point les cibles primaires de l’ingérence étrangère, ce sont justement les diasporas, les communautés d’origine chinoise ou iranienne qui sont ici au Canada », a-t-il enchaîné lors d’une brève mêlée de presse.

« Tout ça, ça dit qu’il faut être vigilant. Moi, je pense que c’est le mot : c’est la vigilance face à ce mouvement-là qu’on voit d’interférence étrangère », a commenté à son tour le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui a déjà dirigé le ministère des Affaires mondiales.

Raison de plus pour que le gouvernement lance une enquête publique indépendante sur l’ingérence chinoise, selon le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.

« C’est un phénomène qui est très, très grave », a-t-il dit.

Il n’a pas hésité à faire un lien entre « les soi-disant postes de police chinois » et l’ingérence de Pékin dans les élections fédérales de 2019 et 2021.

« Rien ne dit à ce moment-ci que ça a joué un rôle [au Québec] dans la dernière élection, a-t-il ajouté. Notre crainte, c’est que ça joue un rôle dans la prochaine élection et dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, une prochaine élection, on ne sait pas c’est quand. »

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, a aussi fait part de ses inquiétudes.

« Comment ça se fait qu’il peut y avoir des agents d’un État étranger qui viennent ici faire de l’intimidation, peut-être des menaces ? Je pense qu’il n’y a aucun pays dans le monde, aucune démocratie dans le monde, qui peut accepter ça », a-t-il affirmé en mêlée de presse.

De nouvelles révélations de Global News hier ont jeté un doute sur la version du premier ministre Justin Trudeau, qui aurait été informé de l’intention de la Chine de favoriser des candidats de son parti.

Avec Mélanie Marquis et Mylène Crête, La Presse