Les quelque 800 habitants de Courcelles, en Estrie, deviendront bientôt beaucerons. La municipalité s’apprête en effet à quitter la MRC du Granit pour intégrer celle de Beauce-Sartigan. Un changement convoité depuis « plus de 25 ans », raconte le maire, Francis Bélanger.

« La première demande officielle date de 1997. À l’époque, un transfert de MRC, ça prenait l’accord de la MRC que l’on quittait. Chose qui n’a jamais fait l’affaire de la MRC du Granit, donc c’est évident qu’elle n’allait jamais être d’accord. »

Quitter sa MRC pour la voisine ? Jusqu’à récemment, c’était une pratique rare. Depuis 2010, une seule a sauté la clôture, montrent les données du ministère des Affaires municipales. Notre-Dame-de-la-Salette, en Outaouais, est passée de la MRC des Collines à la MRC de Papineau.

Aller vers la Beauce est pourtant « naturel » pour les Courcellois, qui y utilisent beaucoup de services et y ont de la famille, plaide le maire. Un projet de fusion a donc été élaboré avec un voisin beauceron, Saint-Évariste-de-Forsyth, qui compte près de 600 habitants.

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« Ce qui est le fun, c’est qu’il n’y a pas de dominant-dominé. Nos forces sont dans les travaux publics ; Saint-Évariste, c’est plus dans l’administration. Il y a une piscine dans leur municipalité, et nous, on a un aréna. On est vraiment complémentaires. »

Le transfert n’est pourtant pas passé comme une lettre à la poste.

Aux audiences publiques de la Commission municipale du Québec (CMQ), la MRC du Granit et deux organisations économiques s’y sont vivement opposées. Et lorsque Québec a donné le feu vert à la fusion, Courcelles et la MRC du Granit ont eu besoin d’un conciliateur pour régler les détails de leur séparation.

Une pétition contre la fusion de près de 320 noms avait aussi été envoyée au cabinet de la ministre des Affaires municipales l’an dernier. Mais comme c’était bien avant l’examen de la CMQ, celle-ci n’en a pas tenu compte dans son rapport, soulignant qu’elle ne connaissait « ni la méthodologie, ni l’authenticité et la fiabilité des résultats » de cette pétition. « C’est avec un certain étonnement que la Commission constate le peu d’opinions exprimées contre le projet » durant les audiences, a d’ailleurs relevé la CMQ.

La municipalité regroupée s’appellera Courcelles–Saint-Évariste, mais une consultation pourrait être organisée pour trouver un nouveau nom. Quant aux deux maires, ils s’échangeront les rôles de maire et maire suppléant en alternance d’ici aux élections de 2025.

Un autre mariage impliquant deux MRC, celui des villages de Saint-Guy et de Lac-des-Aigles, dans le Bas-Saint-Laurent, a récemment reçu la bénédiction de la CMQ.

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La MRC des Basques, qui refusait de perdre les 53 habitants de Saint-Guy au profit de la MRC de Témiscouata, avait déposé une pétition de 32 noms. Mais là encore, « uniquement deux signataires de la pétition se sont manifestés lors de l’audience publique », a signalé la CMQ.

Lever la « gratte »

Dans le Bas-Saint-Laurent, Trois-Pistoles et Notre-Dame-des-Neiges avaient envisagé la fusion au début des années 2010, mais le taux de taxation plus élevé de la première avait effarouché la seconde.

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Les maires actuels ont rouvert le dossier, et obtenu l’aide du ministère des Affaires municipales pour étudier divers scénarios, allant du regroupement de services au regroupement intégral.

« On est vraiment sincères. Cette fois, on se rend au bout, il n’est pas question d’arrêter en chemin », assure le maire de Notre-Dame, Jean-Marie Dugas.

Comme La Pocatière et Sainte-Anne-de-la-Pocatière (voir autre texte), les deux municipalités n’en formaient à l’origine qu’une seule, jusqu’à ce que Trois-Pistoles se détache de Notre-Dame, en 1916. « Si vous regardez sur une carte, on est un fer à cheval, on fait le tour de Trois-Pistoles », souligne Jean-Marie Dugas.

En hiver, ses cols bleus sont obligés de traverser des sections de Trois-Pistoles sans les déneiger. « On doit lever la gratte parce qu’on n’a pas le droit, pour des questions d’assurances, si on n’a pas d’entente intermunicipale. Quand on arrive chez nous, on baisse la gratte et on déneige… »

Offrant moins de services que sa voisine, Notre-Dame a très peu de dettes et taxe moins ses résidants (1,06 $ par 100 $ d’évaluation, contre 1,58 $ à Trois-Pistoles). N’est-il pas risqué d’évoquer un rapprochement ?

« Je n’ai pas vu de citoyens défavorables. Je suis aussi surpris que vous », répond Jean-Marie Dugas en riant.

Militaire retraité, il a été témoin de la fusion qui a donné naissance à Gatineau, il y a plus de 20 ans. « Ça ne baisse pas le compte de taxes, on se comprend, mais ça pourrait avoir un effet bénéfique », dit-il en mentionnant l’unification des services (direction générale, urbanisme, paie, etc.) et l’accès à certaines subventions.

D’autres regroupements à venir ?

Beaucoup d’autres municipalités vont envisager des regroupements au cours des prochaines années, prédit le maire de Courcelles.

« Les municipalités se font lancer de plus en plus de choses dans leur cour, et n’ont pas le choix de les gérer, donc il faut trouver des façons de faire. Au congrès de la Fédération québécoise des municipalités l’an dernier, il y avait un atelier sur les regroupements de services, et la salle était bondée ! »

Saint-Alfred, en Beauce, pourrait étudier un regroupement, possiblement avec Saint-Victor, mais les discussions sont préliminaires, nous a indiqué la municipalité.

Au moins quatre groupes de municipalités ont lancé des études officielles, et trois autres attendent l’approbation finale de leur fusion par Québec.

Conserver son identité

S’il y a des résidants qui n’ont pas eu peur de perdre leur identité, ce sont bien les Plessisvillois, dans le Centre-du-Québec. Séparées depuis plus de 160 ans, la ville et la paroisse de Plessisville regrouperont leurs quelque 9500 habitants le 1er janvier prochain. On vous laisse deviner le nom de la nouvelle municipalité. En Abitibi, les villages de La Morandière et de Rochebaucourt, qui se battaient déjà pour leur survie en 1975, dans le documentaire Un royaume vous attend, du cinéaste Pierre Perrault, ont fusionné en janvier dernier. Le nouveau village de La Morandière-Rochebaucourt compte 345 habitants sur près de 600 kilomètres carrés.