(Unamen Shipu) Le vent se lève à Unamen Shipu. La neige, elle, tombe depuis la nuit. Une forte tempête doit frapper la communauté innue de la Basse-Côte-Nord en cette froide journée de mars.

Ici, à plus de 1300 kilomètres à l’est de Montréal, l’hiver n’a pas dit son dernier mot.

Trois camionnettes se garent devant le motel Madame Ruby. Même si le village de 1200 âmes n’est relié à aucune route, ses artères grouillent de VUS qui s’entremêlent aux motoneiges et aux quatre-roues.

Le transport est arrivé. Le ministre Pierre Fitzgibbon (Économie, Innovation et Énergie), vêtu d’un manteau sport bleu en duvet, enfile sa tuque et rejoint à l’extérieur ses collègues Ian Lafrenière (Premières Nations et Inuit) et Kateri Champagne Jourdain (Emploi).

Les trois ministres s’installent sans hésiter dans « la boîte de pick-up » d’un Dodge Ram rouge, sous le regard résigné de leur garde du corps.

Le convoi roule à basse vitesse. Les rues enneigées et désertes offrent aux chiens errants un vaste terrain de jeu. Direction : le conseil de bande, où une rencontre est prévue avec le chef Raymond Bellefleur.

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Un chien errant en pleine tempête dans les rues d’Unamen Shipu

« C’est normal s’il y a des bouts où ça ne parle pas. » Le ministre responsable des Premières Nations et des Inuit souffle un conseil à son collège à l’Économie, à l’Innovation et à l’Énergie. « On a tendance à remplir le vide, il ne faut pas faire ça, c’est qu’ils réfléchissent », poursuit-il.

Le contingent de ministres du gouvernement a mis le cap sur la Basse-Côte-Nord pour visiter les communautés innues d’Unamen Shipu et de Pakua Shipi – encore plus à l’est.

Leur visite n’a rien d’anodin : Hydro-Québec est à la croisée des chemins et doit doubler sa production énergétique d’ici 2050. Cela signifie ajouter 200 térawattheures d’énergie, dont 60 térawattheures d’ici 2035. C’est l’équivalent de construire sept fois et demie le mégacomplexe de la Romaine d’ici 11 ans.

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Les ministres Pierre Fitzgibbon, Ian Lafrenière et Kateri Champagne Jourdain rencontrent le chef Raymond Bellefleur (au centre).

Pour reprendre les mots du grand patron d’Hydro-Québec : « Ce n’est pas le temps pour des demi-mesures. »

L’appétit énergétique pour soutenir la croissance économique et décarboner le Québec est tel que la société d’État a ressorti du tiroir où elle dormait depuis 20 ans l’idée d’un projet hydroélectrique sur la rivière du Petit Mécatina, en Basse-Côte-Nord.

La rivière coule sur les terres ancestrales des communautés d’Unamen Shipu et de Pakua Shipi.

L’annonce de la reprise des études, en avril 2023, a provoqué une levée de boucliers. Les maires de la Basse-Côte-Nord n’en veulent pas tant que la route 138 ne sera pas prolongée (voir autre texte). Les Innus ont exprimé à plus d’une reprise leur opposition.

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Le chef Raymond Bellefleur

Le chef Raymond Bellefleur s’est indigné quand les équipes d’Hydro n’ont fait que survoler le territoire de la communauté.

Pas comme dans les années 1950

« [Doubler la production], ça ne peut pas arriver aujourd’hui de la même façon que c’est arrivé dans les années 50 », admet Pierre Fitzgibbon. Le ministre rêve par ailleurs de voir pousser rapidement des éoliennes en terres innues. « C’est maintenant », lance-t-il.

La vision du superministre du gouvernement Legault est claire : les communautés autochtones et les MRC devront être « des actionnaires » des projets pour « faciliter l’acceptabilité sociale ».

« Sinon, on affronte un vent de face », lâche-t-il.

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Les ministres Ian Lafrenière, Kateri Champagne Jourdain et Pierre Fitzgibbon rencontrent les représentants de la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent.

Pierre Fitzgibbon doit déposer au cours des prochaines semaines un projet de loi qui vise notamment à accélérer le développement de parcs éoliens pour répondre aux besoins énergétiques.

Il serait question d’alléger des processus d’appel d’offres de la société d’État pour l’éolien, par exemple. « Il faut aller plus vite au niveau administratif pour permettre de faire des transactions avec les communautés », explique le ministre.

Hydro-Québec veut intégrer plus de 10 000 mégawatts (MW) de nouvelles capacités éoliennes d’ici 2035. Ces ajouts représentent plus de 30 milliards de dollars d’investissements privés et publics.

Ici, ça va être clairement l’éolien et le returbinage [NDLR : remplacer les turbines de centrales existantes pour en augmenter la puissance] de centrales existantes. Mais ça, ce sont de nouveaux projets. Quand tu parles aux communautés, tu n’arrives pas en disant : on change les turbines. Ç’a des effets importants sur l’environnement. Pour ce faire, on n’aura pas le choix qu’elles soient partenaires.

Le ministre Pierre Fitzgibbon

Le ministre parle même d’une « nouvelle approche de détention des actifs énergétiques » où Hydro-Québec demeurerait le principal actionnaire.

« Les gens qui reçoivent des redevances, ça ne marche pas parce qu’ils ne se sentent pas aussi impliqués », poursuit le ministre.

« Si les communautés n’ont pas d’argent, je pense qu’on doit être prêt à leur en prêter. Pas leur en donner, leur en prêter parce qu’un jour, ils vont avoir des ressources qui vont leur revenir. Je pense que c’est un peu pour ça que Ian [Lafrenière] aime ça m’amener avec lui. »

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De nouvelles installations d’Hydro-Québec à Unamen Shipu. La société d’État veut intégrer plus de 10 000 mégawatts (MW) de nouvelles capacités éoliennes d’ici 2035. Ces ajouts représentent plus de 30 milliards de dollars d’investissements privés et publics.

Dans son plan d’action vers 2035, Hydro-Québec s’engage à « faciliter l’acquisition, par les communautés autochtones, de participations directes dans les infrastructures qui seront déployées sur le territoire ancestral ».

Ces participations pourraient faire l’objet d’un soutien financier de la société d’État ou d’autres sources de financement privées ou gouvernementales, écrit-on.

« Je suis pas mal plus intéressé comme ministre de l’Énergie par un projet qui se fait avec des partenaires pour séparer les profits […] Michael Sabia partage cette vision », assure M. Fitzgibbon.

C’est la deuxième fois en un an que le poids lourd de l’équipe caquiste foule le territoire d’Unamen Shipu.

En novembre, c’était au tour de M. Sabia de s’y rendre. Il a notamment remis aux Innus une lettre d’excuses de la part de la société d’État pour les torts du passé.

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Le président-directeur général d’Hydro-Québec, Michael Sabia, lors de l’inauguration du complexe hydroélectrique de la Romaine 1, l’automne dernier.

Une entente de « réconciliation économique » pour compenser les Innus pour l’aménagement en 1995 de la centrale hydroélectrique du Lac-Robertson, à Gros-Mécatina, est à portée de main, a-t-on appris. Le Conseil des ministres pourrait donner son feu vert dès ce printemps.

Un accord similaire est également négocié avec Pakua shipi, mais le projet de règlement est beaucoup moins avancé.

Or, les Innus de la Basse-Côte-Nord font de ces ententes un préalable non négociable à toute discussion pour le développement énergétique sur leur territoire.

Québec, Hydro-Québec et les Innus de Pessamit (près de Baie-Comeau) ont conclu en février une entente-cadre, premier pas vers un partenariat de développement énergétique.

Lisez l’article de La Presse : « Premier rapprochement entre Québec et Pessamit »