(Québec) Ian Lafrenière contredit les chefs autochtones qui déplorent « une impasse » des négociations du traité Petapan. Québec et les trois communautés innues n’ont jamais été aussi près de s’entendre, rétorque le ministre responsable des Premières Nations et des Inuit.

« Le fait qu’on ait négocié pendant tant d’années, il y en a qui ont perdu confiance, je le comprends, mais il ne faut pas se décourager rendu au fil d’arrivée », plaide le ministre en entrevue. Ian Lafrenière assure que la volonté du gouvernement Legault demeure celle de s’entendre « rapidement » avec les communautés innues de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan.

« Si on avait fait un 10 kilomètres ensemble, je dirais qu’il reste les 500 derniers mètres », illustre le ministre.

Or, les chefs accusent Québec de négocier de « mauvaise foi », ce qui « met en péril » le projet de traité pour lequel Ottawa a déjà donné son accord.

Les leaders innus ont signé une lettre coup-de-poing lundi dans laquelle ils affirment avoir été « trompés » par le gouvernement Legault. Dans leur missive, ils ouvrent par ailleurs la porte à un éventuel recours judiciaire si l’impasse persiste.

« Au contraire, je pense qu’on n’a jamais été aussi proche de livrer, mais c’est normal qu’il y ait des choses qui accrochent », indique le ministre, rappelant que les pourparlers durent depuis plus de 40 ans.

C’est le premier ministre François Legault lui-même qui, en pleine campagne électorale, avait fixé l’échéance des négociations au 31 mars 2023. C’est pour souligner « ce triste anniversaire » que les chefs innus ont pris la plume.

Les négociations achoppent notamment sur la définition d’innu-aitun, qui vient définir la culture innue, a expliqué le chef de Mashteuiash, Gilbert Dominique. « Il y a eu certaines propositions […] qui auraient fait en sorte que la pratique de nos activités traditionnelles sur notre territoire serait l’équivalent [de la pratique] des chasseurs sportifs québécois, on n’est pas à la même place », a-t-il déploré en entrevue.

Il s’agit pourtant d’un concept qui avait été « convenu » dans l’entente de principe d’ordre général, en 2004, a fait valoir M. Dominique, qui voit là un recul.

L’enjeu du droit inhérent à l’autodétermination n’est pas non plus réglé, selon le chef. François Legault avait exprimé des réserves au printemps dernier évoquant que le traité pourrait ainsi donner « un droit de veto » aux Innus et « rendre le territoire divisible ».

Dans leur lettre, les Innus réclament à nouveau une rencontre avec le premier ministre, un entretien que Québec « ne cesse de remettre à plus tard », écrivent-ils.

Legault doit prendre le leadership, selon un expert

L’ancien négociateur pour le Québec de l’Approche commune, Louis Bernard, estime que le premier ministre doit prendre le leadership dans le dossier. « S’il y a des hésitations, je ne dis pas qu’elles ne sont pas raisonnables, mais il faut prendre les moyens pour les régler le plus rapidement possible, ça fait un an que ça traîne. Il y a certainement des gens qui se traînent les pieds », explique-t-il.

« C’est la responsabilité du premier ministre de faire en sorte que son gouvernement décide », ajoute M. Bernard, qui a l’impression que M. Legault « n’est pas à l’aise » avec la maîtrise du dossier.

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Louis Bernard, ancien négociateur pour le Québec de l’Approche commune

« Sur le fait que les autochtones auraient un droit de veto, ce n’est pas vrai. Tous les pouvoirs que le traité leur donne, c’est un pouvoir sur les autochtones, poursuit M. Bernard. Il n’est pas question de droit de veto ou de droit à se séparer […] on entend ça par des gens qui ne connaissent pas ça. »

Ian Lafrenière assure que M. Legault s’est engagé à rencontrer les chefs, mais pas à ce stade-ci.

« Quand on fait une négociation comme ça, c’est normal de garder le premier ministre, la personne qui est l’instance la plus haute, pour la fin, quand il y aura juste deux, trois éléments sur lesquels il va falloir trancher », plaide le ministre, qui dit vouloir « utiliser cette carte au bon moment ».

Il y a un an, lorsqu’Ottawa s’est entendu avec les Innus, on chuchotait en coulisses que Québec attendait la décision de la Cour suprême sur la loi fédérale pour l’autonomie de leurs services de protection de l’enfance (C-92). Une décision favorable lui aurait permis de renégocier certaines clauses du traité, disait-on. Québec a finalement été débouté par le plus haut tribunal du pays en février.

Le traité Petapan, décrit comme une Paix des braves moderne, prévoit une compensation financière pour « les dommages du passé » causés par l’exploitation du territoire ancestral, appelé le Nitassinan, ainsi qu’une formule de « participation réelle » pour les projets de développement économique actuels et futurs.

Les Innus demandent au gouvernement Legault un bloc d’énergie de 500 mégawatts et l’obligation pour les entreprises forestières de s’entendre avec eux lors de l’exploitation de terres ancestrales. Il est aussi prévu que soit versée une part des redevances perçues par Québec sur le Nitassinan d’un minimum de 3 %.

Avec la collaboration de Mylène Crête, La Presse