Une Montréalaise met en demeure Air Canada pour l'avoir expulsée, affirme-t-elle, d'un vol du Costa Rica vers la métropole sous prétexte qu'elle n'avait pas en sa possession son auto-injecteur EpiPen, qu'elle dit s'être fait voler quelques jours avant son départ.

Assise dans l'avion qui doit la ramener à Montréal après un voyage visant à célébrer son «quart de siècle», en février 2017, Zella Leroux-Gillespie ne peut s'imaginer que son périple tournera au vinaigre. En attente du décollage, la vingtenaire feuillette le menu proposé en vol et remarque que des collations aux noix sont offertes.

Souffrant d'une grave allergie aux amandes, Mme Leroux-Gillespie s'adresse à l'agente de bord pour savoir si les noix peuvent avoir été en contact avec les autres aliments. Celle-ci lui aurait alors demandé si elle avait son EpiPen. «C'est là que j'explique que je me le suis fait voler sur la plage», relate Mme Leroux-Gillespie en entrevue à La Presse.

Puis les choses tournent mal. Le personnel lui ordonne de «quitter immédiatement l'avion», allègue Mme Leroux-Gillespie. Dans la mise en demeure adressée à Air Canada en septembre dernier, la jeune femme décrit les évènements comme «bouleversants». Elle confie à La Presse s'être sentie «humiliée» et avoir subi «une crise de panique».

«On m'a dit : "Tu n'as pas ton EpiPen, tu ne  peux pas rester."»

«Il n'y avait pas de négociation.» Mme Leroux-Gillespie affirme par ailleurs qu'une passagère assise près d'elle, qui entendait la conversation, a avisé l'employée qu'elle possédait elle-même un auto-injecteur et qu'elle n'hésiterait pas à l'offrir à la jeune femme, en cas de besoin.

Selon Mme Leroux-Gillespie, l'agente de bord aurait alors fait des vérifications auprès d'un superviseur pour revenir et sommer de nouveau la Québécoise de sortir de l'appareil. Elle aurait été escortée jusqu'à la sortie. Air Canada a agi de «manière excessive et déraisonnable», prétend Me Jean-François Bertrand, qui signe la mise en demeure.

Le document a été envoyé par courrier recommandé le 7 septembre dernier. À ce jour, le transporteur aérien n'y a toujours pas donné suite, a confirmé Me Bertrand. À défaut d'obtenir une réponse, d'autres recours pourraient être entrepris, comme amener la cause devant la Division des petites créances de la Cour du Québec.

«La panique totale»

Une fois sortie de l'avion, Zella Leroux-Gillespie n'était pas au bout de ses peines. Elle allègue qu'Air Canada ne lui a fourni aucune information sur la marche à suivre pour la suite. Elle ne savait pas non plus si son vol allait lui être remboursé. Elle s'est retrouvée seule, avec son sac à dos, dans l'aéroport de San José. «C'était la panique totale», raconte-t-elle.

Elle est parvenue à joindre son ami de coeur qui lui a réservé un nouveau vol pour le lendemain matin, toujours avec Air Canada. «Il fallait que je me trouve un EpiPen», dit-elle. Or, les auto-injecteurs EpiPen ne sont pas offerts au Costa Rica. La voyant en pleurs, un employé de l'aéroport, qui parlait anglais, lui a offert de l'accompagner pour trouver une clinique.

Un médecin lui a finalement prescrit un produit du type Benadryl en plus de lui fournir deux lettres, l'une en anglais et l'autre en espagnol, faisant état de la situation, qu'elle pourrait remettre aux autorités le lendemain. Elle a dormi à l'hôtel près de l'aéroport et a pu prendre son vol sans complication. Le 6 février 2017, elle est rentrée au Canada.

Remboursement réclamé

Le 9 avril 2017, Zella Leroux-Gillespie adresse une plainte à Air Canada pour obtenir un remboursement des frais encourus en raison des événements. «Elle reçoit une réponse [...] expliquant que le personnel [...] était justifié dans les circonstances d'exiger [qu'elle quitte] l'avion» puisqu'elle n'avait pas d'EpiPen. «Ainsi, [on] ne pouvait lui offrir un remboursement», relate la mise en demeure.

Aujourd'hui, Mme Leroux-Gillespie réclame 2169 $ à Air Canada pour les frais relatifs à l'achat de ses billets d'avion, de la nuit à l'hôtel et du service médical, entre autres, ainsi qu'une somme de 1000 $ pour «dommages moraux (troubles, stress et inconvénients)». Elle affirme même avoir eu recours à l'aide d'un psychologue à deux reprises, à son retour.

«C'est le pire service que j'ai eu. Personne ne m'a jamais parlé comme ça. Je n'ai jamais vu un service à la clientèle aussi horrible. Il y avait zéro empathie, il y avait un manque de professionnalisme à un niveau tellement élevé.»

Nulle part sur le site internet d'Air Canada il n'est indiqué qu'un passager peut être expulsé d'un appareil s'il n'a pas avec lui son auto-injecteur EpiPen.

Il est précisé qu'en «plus d'avoir en leur possession un ou plusieurs EpiPen, les passagers souffrant d'une allergie grave aux arachides ou aux noix doivent prendre des précautions supplémentaires, comme apporter leurs propres collations, utiliser du désinfectant pour les mains et être munis de lingettes pour nettoyer les surfaces environnantes».

Il est aussi écrit qu'il «incombe» aux clients souffrant d'allergies de se «munir des médicaments appropriés».

Politique d'Air Canada

Air Canada n'a pas voulu accorder d'entrevue à La Presse sur sa politique relative aux clients souffrant d'allergies.

Par courriel, le transporteur a affirmé «qu'une personne souffrant d'allergie sévère ne se déplace pas sans son auto-injecteur. [...] Pour nous assurer du confort et de la sécurité de tous les passagers, nous nous réservons le droit de demander si la personne souffrant d'allergie a son EpiPen sur elle», sans répondre à notre question sur l'expulsion.

Air Canada soutient par ailleurs que sa trousse médicale d'urgence répond aux critères du Règlement de l'aviation canadien de Transports Canada. Selon ce règlement, les appareils de plus de 100 sièges doivent avoir à bord quatre doses d'épinéphrine, le médicament contenu dans un EpiPen, et deux ampoules de diphénhydramine, un antihistaminique.

Zella Leroux-Gillespie affirme ne pas avoir signalé le vol de son EpiPen aux autorités costaricaines puisqu'elle ne s'est fait dérober que son auto-injecteur et une somme d'environ 50 $ qu'elle avait transportés dans un petit sac à la plage.

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ALLERGIES ET TRANSPORTEURS AÉRIENS

Les transporteurs aériens ne garantissent pas, pour la plupart, l'absence d'allergènes dans les produits offerts en vol parce qu'ils ont souvent recours à des sous-traitants. Toutefois, plusieurs mesures sont prévues pour les passagers souffrant d'allergies, qui peuvent notamment être autorisés à apporter leurs propres collations. Air Canada offre même des «zones tampons» autour du siège du passager allergique pour «éviter le risque d'exposition» à l'allergène. 

Nulle part sur les sites internet de Delta, Air Transat ou WestJet il n'est indiqué qu'un passager peut être expulsé d'un avion s'il n'a pas avec lui son EpiPen. Il est néanmoins recommandé de l'avoir en sa possession. Il est aussi recommandé d'aviser le transporteur ou son centre d'information avant le départ si une personne souffre d'allergie. 

Seul WestJet précise sur son site que ses appareils sont munis de flacons d'épinéphrine et de seringues et que, en cas d'urgence, une dose peut être administrée par un professionnel de la santé qualifié à bord du vol ou par un membre de l'équipage, sous la supervision en temps réel du personnel médical de MedLink.