La juge Joëlle Roy s’est montrée très dure à l’égard d’une victime lundi dans un procès pour proxénétisme de mineure. La juge a cavalièrement reproché à la jeune femme de répondre « n’importe quoi » en contre-interrogatoire.

« C’est mon pimp. C’est celui qui me vend », a résumé Danika* lundi au procès de Mohamed Louchahi, alias « Mehdi ». Maintenant âgée de 22 ans, Danika en avait 16 quand elle a commencé à se prostituer au bénéfice de l’accusé. Elle étudiait le jour, faisait ses devoirs le soir et devenait escorte la nuit.

L’homme de 35 ans est accusé de proxénétisme d’une personne mineure et de production et distribution de pornographie juvénile. Il est aussi accusé de traite de personnes à l’égard d’une femme de 18 ans. Son procès s’est ouvert la semaine dernière au palais de justice de Montréal.

Après avoir témoigné avec aplomb lundi matin, Danika a été soumise à un contre-interrogatoire somme toute habituel. En fin de journée, la juge en a soudainement eu assez des réponses incertaines de la plaignante.

Ce n’est pas à vous d’être tannée. Je comprends que ça vous agace, mais vous devez répondre. Ne répondez pas avec désinvolture.

La juge Joëlle Roy, s’adressant sèchement à la victime

MSharon Sandiford a alors poursuivi ses questions très précises sur une discussion entre l’accusé et la plaignante. Or, celle-ci ne se souvenait pas dans le fin détail de la conversation. Sans raison apparente, la juge Roy a alors interrompu la témoin.

« Je vais vous demander d’arrêter ça. Vous répondez n’importe quoi depuis 10-15 minutes. Vous répondez pour répondre », lui a reproché la juge.

La moitié des recettes allait à l’accusé

Danika était une élève studieuse et responsable en 2019. Mais sa relation avec son ex-conjoint violent avait laissé des séquelles.

Ma tête était détachée de mon corps. Tant qu’à ne pas me faire respecter gratuitement, aussi bien me faire manquer de respect et me faire de l’argent.

Danika*, la victime, lors de son contre-interrogatoire

Danika rencontre Mohamed Louchahi en avril 2019 par l’entremise d’Amélie* (l’autre plaignante). L’adolescente souhaite devenir escorte pour gagner de l’argent. Selon son récit, l’accusé prend les choses en charge. Il lui demande des photos osées et place des annonces en ligne. Il s’occupe ensuite de lui trouver des clients.

Pendant deux semaines au printemps 2019, Danika fait cinq ou six « clients ». Mehdi l’attend dans une voiture. Elle lui remet ensuite sa « part » de 100 $. Généralement, Danika offre ses services en même temps qu’Amélie.

Sur les annonces, on faisait croire que Danika avait 18 ans. Or, l’accusé savait depuis le début qu’elle avait 16 ans, selon elle. « C’est pas légal. Il était très au courant. Il était clair que je ne devais pas mentionner que j’étais mineure », témoigne-t-elle. Elle devait d’ailleurs apprendre par cœur la vie d’Amélie au cas où elle se ferait arrêter.

« Il est parti à rire »

Témoignant dans une autre pièce du palais de justice, Amélie* relate avoir été arrêtée par les policiers. Elle peine toutefois à trouver le bon terme pour définir son arrestation. Assis à côté de son avocate, Mohamed Louchahi se met alors à rigoler.

« Il est parti à rire », s’insurge la procureure de la Couronne, MVéronique Warthold.

Impassible, la juge Roy ne sermonne pas l’accusé et demande à Amélie de poursuivre son témoignage.

Amélie* avait 18 ans au moment des faits. Selon la théorie de la Couronne, elle serait restée quelques mois dans les griffes de l’accusé.

La jeune femme a d’abord été accusée de proxénétisme à l’égard de Danika, mais les accusations ont été abandonnées par le ministère public. Elle ne connaissait même pas le terme « proxénétisme » à l’époque, a-t-elle confié avec candeur.

« C’est mon amie et on travaillait ensemble. Je ne pensais pas que c’était mal ! », a-t-elle témoigné, mercredi dernier. « Ce n’était pas une recruteuse », a fait valoir Danika au procès.

Au printemps 2019, Amélie visitait des « clients » avec Danika, 16 ans. C’est Mohamed Louchahi qui leur trouvait les « clients » et fixait le tarif. Elle remettait elle aussi une partie du montant au proxénète, explique-t-elle.

Amélie avait peur de dénoncer « Mehdi » puisqu’une fois, il avait frappé avec violence le volant de son véhicule. « S’il frappait un volant, il pouvait aussi me frapper », a-t-elle relaté.

« Il me forçait à faire des clients », lâche-t-elle. Elle précise toutefois sa pensée : c’était en fait sa propre décision de se prostituer, mais l’accusé ne cessait de la remettre en question quand elle ne voulait plus le faire.

Quand Danika s’est fait arrêter, Mohamed Louchahi a dit à Amélie de ne pas parler aux autorités. « Je devais le protéger plus que moi », a-t-elle raconté.

Le procès se poursuit mercredi.

* Prénoms fictifs, pour préserver l’anonymat des victimes