Cinq jours après son arrestation pour crimes sexuels, le milliardaire Robert Miller réclame officiellement l’arrêt du processus judiciaire, a appris La Presse. L’octogénaire s’appuie sur l’avis de médecins selon qui sa santé déclinante le rend incapable d’avoir un procès normal, exercice qui pourrait même le tuer. La police, loin de se laisser freiner, a plutôt procédé à l’arrestation de sa soignante à domicile pour proxénétisme, mardi.

Robert Miller a été arrêté jeudi dernier pour des crimes commis sur dix femmes, dont huit mineures, entre 1994 et 2016. Il est accusé d’agression sexuelle, d’exploitation sexuelle dans un contexte d’autorité et d’obtention de services sexuels d’une mineure. Remis en liberté immédiatement, il a dû s’engager à comparaître ultérieurement à la cour.

Mais dans une requête en arrêt des procédures déposée à la Cour supérieure et dont La Presse a obtenu copie, il demande à ce que le système le laisse en paix dès maintenant, en raison de ses nombreux problèmes de santé, notamment la maladie de Parkinson qui le laisse « alité et soigné 24/7 ».

M. Miller, qui clame son innocence, affirme que le fait de l’accuser, vu son état de santé, viole la Charte des droits et libertés. « En effet, le demandeur n’est pas capable de participer à un procès criminel, car cela causerait des torts significatifs à sa santé. Il n’est et ne sera jamais capable de se défendre », précisent ses avocats, MIsabella Teolis et MNicholas St-Jacques.

Incapable de se mouvoir

Selon eux, Robert Miller a reçu un diagnostic de parkinson en 1996 et son état s’est gravement détérioré au fil des années. La requête cite le médecin de famille du milliardaire, le DJohn Hughes, selon qui son patient est confiné à son lit depuis mai 2022 et souffre de plaies de pression, car il est incapable de se mouvoir.

« Le demandeur a besoin d’assistance pour se rouler dans son lit d’un côté à l’autre à chaque heure », affirme le DJohn Hughes, selon qui M. Miller est aussi incapable de s’alimenter par lui-même et incontinent relativement à tous ses besoins naturels.

« Sa médication doit être administrée chaque heure et demie. Sans sa médication, le demandeur devient totalement immobile et incapable d’initier un mouvement. Chaque matin, puisque la médication n’est pas administrée pendant la nuit, il faut entre deux et trois heures au demandeur pour se réactiver avec la réinitiation de sa médication », poursuit la requête.

Le médecin de famille ajoute que M. Miller n’est pas en état médicalement de témoigner.

La requête cite aussi un neurologue du CUSM, le DTheodore Wein, qui a évalué M. Miller à plusieurs reprises jusqu’au mois dernier. Le spécialiste souligne qu’un déplacement vers le palais de justice ferait courir plusieurs risques à l’accusé, dont l’état est fragile.

S’il était forcé d’être présent au palais de justice, l’audience devrait être interrompue toutes les 90 minutes pour qu’il prenne cinq minutes afin de prendre ses médicaments.

« S’il était obligé d’être dans une salle de cour, il aura besoin de son équipe de soins médicaux complète pour s’occuper de ses fonctions corporelles. Si présent en salle de cour, il aura besoin d’un lit complet d’hôpital, une commode, des oreillers orthopédiques pour soutenir sa posture. Comme il est incontinent […], il aura besoin de son équipe de soins pour le nettoyer et le changer dans la salle de cour », ajoute le DWein dans son rapport cité par les avocats. Le médecin souligne aussi que de l’oxygène doit être disponible pour être administré lorsque M. Miller commence à avoir du mal à respirer.

Le spécialiste ajoute que le stress causé par les nombreux transports à anticiper entre son domicile et la salle d’audience risque d’entraîner diverses complications potentiellement fatales pour un homme aussi malade.

Le droit de témoigner à son procès

Les avocats de M. Miller citent aussi le DAlain Dagher, un médecin qui a servi d’expert médical pour la cinquantaine de femmes qui ont joint une demande d’action collective contre Robert Miller parce qu’elles affirment avoir été recrutées à l’adolescence pour lui offrir des services sexuels.

Selon le DAlain Dagher, M. Miller serait potentiellement capable de témoigner, mais pour de courtes périodes de moins d’une heure, avec des pauses lorsqu’il a du mal à respirer ou qu’il éprouve des douleurs, ce qui rendrait l’exercice extrêmement fastidieux pour un procès impliquant 21 chefs d’accusation et plusieurs victimes alléguées.

Or, au Canada, le Code criminel et la Charte des droits protègent le droit d’un accusé à une défense pleine et entière, « ce qui inclut la possibilité pour l’accusé de témoigner pendant son procès », soulignent MTeolis et MSt-Jacques.

« Tenir un procès en l’absence de l’accusé ou dans un contexte où il mettrait sérieusement sa vie en danger, ou tenir un procès dans lequel l’accusé ne peut pas témoigner, causerait des dommages sérieux et irrémédiables aux droits de l’accusé et à l’intégrité du système de justice », poursuivent les juristes.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a pas encore eu l’occasion de répondre à la demande d’arrêt du processus judiciaire. Mais en conférence de presse jeudi dernier, l’inspectrice Karine Paquette, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), avait confirmé que ses enquêteurs étaient au courant de l’état de santé de M. Miller avant de l’arrêter.

« De notre côté, pour l’équipe d’enquête, on a un travail à faire, on a des victimes qui ont eu le courage de porter plainte, le courage de dénoncer ce qu’elles ont vécu, malgré le temps qui s’est écoulé. Alors peu importe l’état de santé de M. Miller, on avait un travail à faire et on l’a fait », avait martelé la policière.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’inspectrice Karine Paquette, du SPVM, en conférence de presse après l’arrestation de Robert Miller, jeudi

Mardi, poursuivant dans la même veine, les enquêteurs de la Section de l’exploitation sexuelle du SPVM ont arrêté la soignante à domicile de Robert Miller.

Teresita Fuentes, 67 ans, a été accusée de proxénétisme pour des gestes commis à l’endroit d’une victime alléguée, entre 2015 et 2018. Depuis plusieurs années, la femme déclare habiter à la même adresse que M. Miller, à Westmount. Elle demeure en liberté, mais a dû s’engager à comparaître devant la cour le 3 juillet prochain. Son avocate n’a pas répondu à un message de La Presse mardi.

L’histoire jusqu’ici

2 février 2023

Radio-Canada diffuse un reportage sur plusieurs femmes qui disent avoir eu des relations sexuelles contre de l’argent avec Robert Miller. Six affirment qu’elles étaient mineures au moment des faits.

3 février 2023

Robert Miller démissionne de son poste de président de la multinationale montréalaise Future Electronics.

14 septembre 2023

Robert Miller vend Future Electronics pour 5,14 milliards de dollars.

30 mai 2024

Robert Miller est arrêté par le SPVM.