(Montréal) Une entreprise internationale spécialisée en restauration pour les compagnies aériennes et une entreprise de recrutement québécoise auraient attiré des travailleurs étrangers au Canada sous de faux prétextes et les auraient exploités, selon une demande d’action collective, déposée mardi.

Le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI), situé à Montréal, demande l’autorisation d’intenter une action collective contre la société de placement Trésor, de Laval, et l’entreprise de restauration aérienne Newrest, ainsi que plusieurs sociétés affiliées.

Le Centre agit au nom de plus de 400 personnes, depuis 2021, à qui Trésor aurait faussement promis qu’elles recevraient des permis de travail et des emplois légitimes au Canada, mais auraient plutôt été encouragées à travailler illégalement.

« Les défenderesses ont traité les membres du groupe comme des objets : commandables, jetables, remplaçables et exploitables. Ces expériences ont été profondément dégradantes et déshumanisantes pour les membres du groupe, et ont mis en cause leur dignité, leur sécurité psychologique et leur estime de soi », peut-on lire dans la demande d’action collective déposée par les avocats du cabinet montréalais Trudel Johnston & Lespérance.

« En particulier, les menaces expresses ou implicites d’expulsion et de criminalisation brandies par les défenderesses terrorisent les membres du groupe. Leur statut irrégulier – une situation orchestrée par les défenderesses malgré les efforts des membres pour obtenir des permis légaux – demeure une source profonde de stress et d’anxiété », indique aussi le document.

Les avocats des plaignants allèguent que Trésor a recruté des travailleurs de pays hispanophones, en encourageant certains d’entre eux à venir au Canada en tant que visiteurs. D’autres étaient déjà au Canada avec des visas de visiteur, affirment les avocats.

« Les membres du groupe sont incités frauduleusement à travailler pendant une “période probatoire”, une période durant laquelle les membres n’ont, dans les faits, pas de permis de travail valide. Trésor assure aux membres du groupe qu’il est tout à fait normal pour eux de commencer à travailler dans l’intervalle, puisque le processus règlementaire d’obtention de permis est enclenché », affirme la demande d’action collective.

Cependant, peu de travailleurs obtiendront un permis, souligne le document.

Benoît Scowen, du CTI, a déclaré qu’un petit nombre de plaignants ont reçu des permis après avoir travaillé plusieurs mois pour les entreprises. D’autres, a-t-il dit, ont travaillé pendant près d’un an sans jamais recevoir de permis.

« Ce que les travailleurs ont compris, c’est que pour obtenir ce permis de travail, ils devaient continuer à travailler sous leur statut de visiteur et qu’ils n’avaient pas la possibilité d’arrêter de travailler et d’attendre l’arrivée de leur permis de travail », a-t-il soutenu lors d’un entretien téléphonique, ajoutant que plusieurs travailleurs pensaient que s’ils étaient licenciés, ils seraient expulsés du pays.

Payés moins que le salaire minimum

La plupart des travailleurs recrutés par Trésor ont été placés dans les installations de production de Newrest, où ils préparaient les repas des vols au départ de l’aéroport international Montréal-Trudeau. L’action collective proposée allègue que Newrest savait parfaitement que les travailleurs n’avaient pas de permis et que la grande majorité ne les obtiendrait jamais.

« Conjointement, les défenderesses profitent de la vulnérabilité des membres du groupe et de la précarité légale qu’ils ont engendrée pour s’enrichir. Tous les membres du groupe ont été floués, ont vu leurs droits fondamentaux être violés et ont subi de graves préjudices », indique la requête.

Les travailleurs, qui étaient payés par Trésor, recevaient souvent moins que le salaire minimum, n’étaient pas correctement rémunérés pour leurs heures supplémentaires et ne bénéficiaient pas d’une assurance professionnelle et d’une assurance maladie, soutient la plainte.

La poursuite allègue également que les travailleurs n’étaient pas correctement formés ou équipés pour le travail physique qu’ils étaient tenus d’effectuer, et qu’ils étaient contraints de travailler dans des conditions insalubres et dangereuses.

Guillermo Montiel, le président de Trésor, a affirmé qu’il n’avait pas vu le dossier du tribunal, mais qu’il était « stupéfait » par les allégations.

« Nous sommes une agence qui fonctionne en toute légalité depuis 2013. Nous n’avons jamais proposé d’emploi à quelqu’un qui n’avait pas de permis », a déclaré M. Montiel, qui est nommé dans la plainte.

Mardi, Newrest n’a pas répondu à une demande pour commenter l’affaire.

La demande, qui n’a pas encore été approuvée par un juge, une étape obligatoire pour toutes les actions collectives, vise à obtenir des dommages-intérêts non précisés auprès des entreprises.

M. Scowen a souligné que la clinique juridique de son organisation aide un nombre croissant de travailleurs confrontés à des situations similaires depuis que le gouvernement fédéral a commencé, en 2020, à permettre aux personnes titulaires d’un visa de visiteur de passer à un permis de travail sans avoir à quitter le pays.

Les travailleurs étrangers titulaires d’un permis de travail fermé – qui sont liés à un seul employeur – peuvent demander un permis ouvert d’un an s’ils sont victimes d’abus. Toutefois, les personnes qui n’ont aucun permis ont peu de recours lorsque leurs employeurs les maltraitent, a dit M. Scowen.

« Cette pratique crée fondamentalement une nouvelle classe de travailleurs migrants qui n’ont pas facilement accès au mécanisme de protection existant, ce qui permet aux employeurs d’exiger plus d’eux, de les exploiter davantage, de les sous-payer, d’abuser d’eux psychologiquement ou physiquement », a-t-il déclaré.