La police confirme désormais que l’incendie qui a fait sept morts en mars dans un édifice du Vieux-Montréal est le fruit d’un acte criminel. Mais pour le grand-père d’une des victimes, ce développement ne doit pas éclipser l’examen du rôle des locateurs. « Que le feu soit accidentel ou criminel, s’il y avait eu des fenêtres dans le logement, ma petite-fille serait sortie. Point à la ligne », martèle Robert Lacas.

La petite-fille de M. Lacas, Charlie Lacroix, 18 ans, a perdu la vie dans le brasier avec un compagnon. Avant de succomber, elle a appelé désespérément au 911 pour réclamer de l’aide. Les flammes bloquaient la sortie du petit appartement qu’ils avaient loué pour la nuit sur la plateforme Airbnb. Le logement n’avait aucune fenêtre et ils étaient pris au piège.

Lundi, lors d’un point de presse, la direction du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a confirmé les informations d’abord dévoilées par La Presse quelques heures plus tôt : les expertises réalisées sur la scène du drame permettent de conclure que le feu est le fruit d’un geste délibéré. L’enquête, d’abord amorcée par le Module des incendies criminels, relève maintenant principalement des enquêteurs des homicides de la Division des crimes majeurs.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’inspecteur David Shane, du SPVM

Cela signifie que si le ou les incendiaires sont arrêtés, des accusations de meurtre pourraient être autorisées par un procureur de la poursuite.

Il a été établi qu’il y aurait eu au moins un foyer d’incendie, à l’avant du bâtiment situé sur la place D’Youville, et que c’est de l’essence qui aurait été utilisée pour allumer le brasier.

« Aujourd’hui, suivant plusieurs résultats d’analyses recueillis jusqu’ici, le Module des incendies criminels et explosifs du SPVM est en mesure de confirmer que la cause accidentelle est maintenant écartée. Nous parlons donc désormais d’une enquête criminelle. Nos enquêteurs ont d’ailleurs identifié une zone où a débuté l’incendie et des traces d’accélérant ont été trouvées, ce qui a pu contribuer à la vitesse de propagation du brasier combinée à la structure patrimoniale de l’immeuble », a déclaré l’inspecteur David Shane en conférence de presse, lundi après-midi, au quartier général du SPVM.

« Les familles et les proches des victimes décédées ont été informés aujourd’hui de ces nouveaux développements par nos enquêteuses et enquêteurs, et nous souhaitons leur réitérer nos plus sincères condoléances. Nous sommes conscients que l’annonce d’aujourd’hui peut faire revivre des émotions difficiles », a ajouté l’inspecteur.

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Négligence possible toujours étudiée

Au moment où l’incendie s’est déclaré, le 16 mars, 22 personnes se trouvaient à l’intérieur de l’immeuble. Six en sont sorties indemnes, neuf ont été blessées et transportées à l’hôpital.

Et sept sont mortes.

Outre l’enquête pour meurtres, une autre, pour une possible négligence criminelle, est menée simultanément par les policiers du Module des incendies criminels.

« Tout l’éventail des infractions criminelles possibles est considéré à ce stade-ci de l’enquête », a assuré l’inspecteur David Shane.

Ce volet du dossier est capital pour Robert Lacas.

« C’est le plus important, la négligence », a-t-il déclaré lundi lorsque joint par La Presse.

« Il ne faut pas qu’ils lâchent ça. On leur a donné beaucoup d’information, il y a eu beaucoup de témoignages, je ne sais pas ce que ça prend de plus », dit-il, en insistant sur le fait que sa petite-fille n’a eu aucune chance de fuir.

En avril dernier, La Presse avait révélé, après avoir obtenu des écrits en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des services publics et sur la protection des renseignements personnels, que le propriétaire de l’immeuble, Me Émile Benamor, avait reçu plusieurs avis d’infraction au cours des 14 dernières années pour des escaliers de secours inaccessibles et pour l’absence de détecteurs de fumée et de portes coupe-feu.

Lisez « Incendie du Vieux-Montréal : des infractions aux règles de sécurité incendie avaient déjà été constatées »

M. Benamor s’était défendu vigoureusement. Il avait souligné que la Ville lui avait demandé de condamner un escalier et qu’il avait effectué des travaux pour que toutes les déficiences soient corrigées. Il avait déclaré dans un témoignage devant la cour municipale qu’il veillait personnellement à ce que ses immeubles soient sécuritaires.

« Je visite mes immeubles tous les jours », avait-il répété plusieurs fois à la juge.

« On vérifie qu’il n’y a pas de cigarettes laissées là, pas d’eau qui coule. Je le fais tous les jours entre 6 h 30 et 7 h 30. La fin de semaine, je me repose, mais la semaine, je passe. »

On passe par toutes les sorties d’urgence pour vérifier qu’elles ne sont pas bloquées, que les gens pourraient sortir, que les portes ne sont pas verrouillées. Je prends tous les moyens nécessaires.

Émile Benamor

Me Alexandre Bergevin, l’avocat qui représente Émile Benamor dans le dossier de l’incendie, souligne que son client continue de collaborer à l’enquête. « Il a rencontré la police en partant et il continue de collaborer », assure-t-il.

Me Bergevin déplore que l’accent ait été mis sur l’entretien de l’immeuble dans la foulée du drame, alors que la faute incomberait plutôt à un suspect qui a délibérément allumé le feu, selon les informations dont il dit disposer. « Mon client a été vu comme un suspect, on a laissé entendre que l’incendie a été causé par sa négligence, alors que c’est faux », insiste-t-il.

Appel à la population

L’enquête est longue et complexe pour les policiers. Des résultats d’expertises sont arrivés durant l’été, d’autres seraient toujours attendus. Les délais s’expliqueraient par le fait que l’édifice a été complètement dévasté. Des étages se sont même effondrés. Le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), la Régie du bâtiment et la Ville de Montréal figurent parmi les partenaires dans cette enquête.

L’inspecteur Shane invite toute personne qui aurait des informations sur l’incendie à communiquer avec la police ou à téléphoner à Info-Crime. « Il n’y a pas d’information trop petite. Toute information compte et ça peut faire avancer l’enquête », a-t-il dit.

« L’enquête amorcée par le Bureau du coroner est suspendue jusqu’à la fin de l’enquête policière et/ou la fin d’éventuelles procédures judiciaires », a terminé M. Shane.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

L’histoire jusqu’ici

16 mars : Un incendie d’une rare intensité éclate dans un immeuble patrimonial du Vieux-Montréal, faisant sept morts et neuf blessés.

20 mars : Après avoir appris que certains logements de l’immeuble étaient sous-loués illégalement pour des séjours à court terme sur la plateforme Airbnb, Québec annonce vouloir resserrer sa loi pour empêcher cette pratique.

23 mars : Airbnb annonce que toutes ses annonces au Québec devront désormais avoir un numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique du Québec et que le gouvernement pourra avoir accès aux données pour en vérifier la conformité.

31 mars : Le père d’une des victimes de l’incendie dépose au tribunal une demande d’action collective qui vise le propriétaire de l’immeuble, Émile Benamor, ainsi que Airbnb et un entrepreneur qui offrait en location des séjours à court terme dans certains appartements.

4 avril : Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, demande au coroner en chef du Québec de déclencher une enquête publique sur l’incendie.

28 avril : La Presse révèle que le propriétaire de l’édifice incendié a reçu plusieurs avis d’infraction en 14 ans, pour des escaliers de secours inaccessibles, l’absence de détecteurs de fumée et l’absence de portes coupe-feu dans ses immeubles. Plusieurs manquements ont toutefois été corrigés au fil des ans.