Montréal vient de s’entendre à l’amiable avec un homme d’affaires qui disait avoir été empêché injustement de fournir le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en balles de pistolet parce qu’il est d’origine italienne.

Dans le cadre d’un appel d’offres de 2019 par lequel la police cherchait à se procurer 230 000 balles pour ses pistolets, la soumission de Franco Nardi a été écartée après une enquête de sécurité. Il s’agissait de l’offre la plus basse. Le seul autre fournisseur intéressé, une entreprise albertaine, a remporté la mise.

En 2020, M. Nardi a lancé une poursuite de 1,6 million de dollars pour éponger les impacts commerciaux directs et à long terme de cette décision.

Le SPVM n’a jamais voulu exposer publiquement ses méthodes d’enquête de sécurité, plaidant qu’une telle divulgation nuirait à l’intégrité du processus. Dans ses procédures judiciaires, M. Nardi, lui, jugeait « avoir été injustement traité en raison de son héritage culturel ». M. Nardi est d’origine italienne.

Suggestion « insultante »

Dans sa poursuite, M. Nardi alléguait que les policiers qui l’ont interrogé dans le cadre de l’enquête de sécurité « tentaient de [le] lier au crime organisé au sein de la communauté italienne ». « À toutes fins pratiques, les enquêteurs ont accusé M. Nardi d’être impliqué dans ce crime organisé », indique la poursuite, ajoutant que M. Nardi « n’a jamais été impliqué dans le crime organisé, de quelque nature que ce soit. […] Cette simple suggestion n’était pas seulement surprenante pour M. Nardi, mais aussi insultante, blessante et discriminatoire ».

Au début du mois, le comité exécutif de la Ville de Montréal a accepté de régler la poursuite pour 110 000 $.

« Considérant les aléas et risques d’un tel procès dont le résultat ne peut faire l’objet d’aucune garantie, considérant également les ressources devant être investies par la Ville de Montréal dans la suite de ce dossier […], nous sommes d’avis qu’il est dans l’intérêt de la Ville de Montréal d’accepter de régler », ont indiqué les fonctionnaires dans le document d’analyse remis aux élus avant le vote.

« Il s’agit d’un règlement hors cour entre les parties impliquées », a indiqué Gonzalo Nuñez, chargé de communications à la Ville de Montréal. « La Ville ne commentera pas le dossier publiquement. »

Franco Nardi et ses avocats n’ont pas rappelé La Presse.

Le contrat de 2019 était d’une valeur d’un peu moins de 150 000 $.

Fournisseur habituel

Franco Nardi est à la tête du Centre récréatif d’armes à feu de Montréal inc. (CRAFM), une salle de tir doublée d’un magasin d’armes à feu située à Lachine. C’est à travers cette entreprise qu’il avait soumissionné pour devenir le fournisseur de balles du SPVM.

Le CRAFM avait pourtant déjà fourni la police de Montréal en équipement spécialisé. En 2019, l’entreprise lui avait notamment vendu des canettes d’irritant chimique pour son Groupe d’intervention tactique (GTI), ainsi que des cadenas et des accessoires de nettoyage pour armes à feu, selon le site de la Ville de Montréal.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et l’Ontario Provincial Police (OPP) lui ont aussi acheté des produits.

Dans une vidéo mise en ligne sur son site, M. Nardi explique que « des corps de police » viennent s’entraîner dans sa salle de tir.

M. Nardi et ses avocats ont demandé à la Ville, dans le cours des procédures, de leur transmettre des documents qui leur permettraient de mieux comprendre le processus d’enquête de sécurité.

Protéger le « livre de recettes »

Le SPVM a refusé de divulguer ses méthodes. « Si les personnes cherchant à compromettre l’évaluation de la sécurité étaient informées des étapes spécifiques suivies dans l’enquête de sécurité, elles pourraient être en mesure de prendre des moyens pour éviter la détection d’éléments problématiques », plaidait le service de police, selon une décision interlocutoire rendue l’an dernier.

Dans cette décision, la Cour supérieure ordonnait à la police de transmettre certains documents demandés aux avocats de M. Nardi – « en leur titre d’officiers de justice et pour leurs yeux seulement ». Ils n’avaient absolument pas le droit de les transmettre à M. Nardi pour les raisons de sécurité invoqués par la Ville.

Tout de même inquiète, la police a porté cette décision en appel. Ces « documents constituent en quelque sorte le “livre de recettes” de toutes les enquêtes sécuritaires effectuées par le SPVM », ont expliqué les avocats de la police dans leurs procédures à la Cour d’appel.

En mars dernier, ce tribunal a accepté d’entendre la cause et a suspendu la transmission des documents aux avocats de M. Nardi jusqu’à ce que la justice rende une décision finale. L’entente à l’amiable met un terme à ce débat, et les documents n’auront donc pas à être transmis.