En 2020, l’arrêt Reilly de la Cour suprême a vivement réaffirmé le droit des accusés de comparaître dans les 24 heures

« C’est un irritant important », affirme Pierre Brochet, président de l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) et chef du Service de police de Laval.

Depuis toujours, le Code criminel stipule que tout individu accusé d’un crime au Canada doit comparaître dans un délai de 24 heures maximum, pour protéger ses droits individuels et empêcher qu’il soit incarcéré plus longtemps qu’il le devrait.

Mais au fil des ans, une certaine forme d’indulgence s’était installée partout au pays, faisant en sorte que les délais de comparution dépassaient régulièrement les 24 heures.

En 2020, la Cour suprême a rendu une décision (arrêt Reilly) sonnant la fin de la récréation : le plus haut tribunal du pays a coupé court à ce qu’il a qualifié de « problème systémique » et réaffirmé le droit des accusés de comparaître dans les 24 heures, obligeant les juges à être fermes à cet égard.

Avant l’arrêt Reilly, les comparutions se faisaient du lundi au vendredi à 14 h 30 et le samedi dans la journée au palais de justice de Montréal. Le dimanche, c’était relâche.

Maintenant, les comparutions peuvent aussi avoir lieu dès 9 h 30 entre deux dossiers dans des salles à volume, et il y en a également le dimanche, de façon virtuelle.

Course contre la montre

Comprenant que les accusés ont des droits, les policiers de Montréal et de Laval disent toutefois être sous pression et vivre de véritables courses contre la montre depuis l’arrêt Reilly.

Dans le cas, par exemple, d’un dossier de violence conjugale ou de voies de fait, il n’y a pas de problème.

Mais lorsqu’il s’agit d’un évènement de flagrant délit et spontané, un évènement de violence ou une fusillade, qui nécessite une longue enquête, c’est autre chose.

La scène de crime doit être examinée et photographiée par un technicien. Les enquêteurs doivent interroger la ou les victimes – quand leur état de santé le permet –, questionner les témoins, repérer les caméras de surveillance, visionner les images, etc. Après avoir arrêté le ou les suspects, ils doivent aussi les interroger.

Sans compter d’autres impacts sur les différentes étapes d’une enquête, mais aussi sur les façons de faire.

« Cela a des répercussions sur l’ensemble de la preuve. Les rencontres de témoins sont bousculées, les interrogatoires sont suspendus, car on doit faire comparaître le suspect et le ramener dans la salle ensuite. Ça n’existe pas, des enquêtes en 24 heures », a confié à La Presse une source policière qui a requis l’anonymat car elle n’est pas autorisée à parler aux médias.

« C’est un problème majeur. Cela a aussi un impact sur la sécurité des policiers et des citoyens, car on n’arrête plus des individus considérés comme dangereux et armés avant 9 h, pour être certain de pouvoir le faire comparaître dans les délais, le lendemain matin. On attend que le suspect sorte de chez lui et à cette heure, il y a des gens dans les rues, des commerces sont ouverts », a renchéri une autre source policière.

Dans certaines situations, on doit libérer la personne par sommation au lieu de la faire comparaître, parce qu’on est hors délai ! C’est un irritant qui est important actuellement.

Pierre Brochet, président de l’Association des directeurs de police du Québec

L’arrêt Reilly a aussi un impact sur le travail des procureurs de Montréal qui ont dû s’adapter pour que tous les accusés comparaissent dans les délais.

Les échanges avec les policiers se font plus rapidement et sont constants, la préparation des dossiers se fait plus tôt, des comparutions ont lieu le matin, et le nombre de procureurs qui autorisent les dossiers a été augmenté.

Même si la preuve n’est pas complétée, les procureurs peuvent autoriser une partie des chefs, pour permettre la comparution du suspect, et ajouter d’autres accusations plus tard.

« Nous aussi, on doit contribuer au délai de 24 heures, donc il n’y a plus d’heure de tombée. Quand les policiers nous soumettent le dossier, le compteur est parti. Je sais où est ma ligne d’arrivée et je ne peux pas la dépasser », explique MMarie-Ève Rodrigue, procureure adjointe et responsable des autorisations au palais de justice de Montréal.

Des comparutions « exceptionnelles »

Pour s’assurer que tout accusé comparaisse dans les 24 heures, la Cour du Québec a mis sur pied la comparution virtuelle du dimanche et un système de « comparutions exceptionnelles », c’est-à-dire que des juges sont disponibles entre 6 h et 9 h le matin, et entre 17 h et 21 h le soir, pour faire comparaître les accusés lorsque les situations sont plus corsées.

C’est le service-conseil du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de Montréal qui prend le relais pour les comparutions de fin de semaine et lorsqu’une comparution exceptionnelle est nécessaire.

Depuis juin 2021, le nombre de procureurs au service-conseil a doublé, et ceux-ci et les policiers échangent constamment pour éviter que les droits des accusés soient bafoués.

« On est très flexible sur la forme que prend la preuve », assure MWilliam Lemay, procureur-chef adjoint et patron du Bureau du service-conseil de Montréal.

Même si MRodrigue et MLemay disent avoir toujours réussi à faire comparaître un accusé dans les 24 heures et que la collaboration avec la magistrature est « très bonne », ils « ne peuvent nier que ce délai a un impact sur les enquêtes et que cela met de la pression sur les policiers ».

Selon la Cour du Québec, il y aurait entre 80 et 90 comparutions exceptionnelles par année. Sans avoir de chiffres à l’appui, il y en aurait toutefois peu à Montréal.

Des policiers craignent de voir un jour un individu dangereux être libéré, faute de comparaître dans les délais. Ils demandent à ce que les juges soient davantage disponibles et que des comparutions exceptionnelles puissent être faites en dehors des deux plages horaires actuelles.

« On comprend et on veut respecter les droits de la personne. Mais si on veut être rigoureux au sujet des comparutions en 24 heures, il faut que le système s’adapte. On ne veut pas être critique envers les juges. On expose la situation et les faits. Nous avons actuellement un enjeu d’efficacité et de performance », ajoute le président de l’ADPQ, Pierre Brochet.

« Le système fonctionne »

« Il n’est pas question de dépasser les heures que l’on a actuellement. Passé 21 h ou avant 6 h, on ne fera pas de comparutions », réagit fermement Chantale Pelletier, juge en chef adjointe de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, arguant des ressources insuffisantes et le fait que le système actuel fonctionne bien.

Il n’y a pas une personne actuellement au Québec qui est arrêtée et qui ne comparaît pas dans un délai de 24 heures, et c’est ça, le souci de la Cour du Québec.

Chantale Pelletier, juge en chef adjointe de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec

« Je comprends ce que les policiers vous ont dit, mais en même temps, je ne peux rien faire de plus ou de mieux que ce qu’on fait présentement, qui est déjà excellent », affirme la magistrate.

« Si ce délai de 24 heures pose des problèmes aux organisations policières, peut-être qu’elles pourraient se tourner vers le législateur fédéral », conclut Mme Pelletier.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Lisez « “Dix jours, ça peut être très long” »