La Sûreté du Québec mène jeudi matin des perquisitions au Conseil de bande de Kanesatake, ainsi qu’au centre de Santé communautaire du territoire mohawk. Les saisies sont en lien avec une plainte pour fraude entourant un fonds d’aide de près de 5 millions octroyé par Services aux autochtones Canada pour la COVID-19, a appris La Presse.

« Oui, nous sommes présents, en lien avec une enquête active », confirme le porte-parole de la Sûreté du Québec, Marc Tessier. Le corps policier dit ne pouvoir donner aucun autre détail.

Le Conseil de bande de Kanesatake a publié sur les réseaux sociaux un billet indiquant que les enquêteurs de la Division des enquêtes sur les crimes économiques « exécutent des mandats de perquisition en lien avec l’enquête sur l’Unité de réponses d’urgence (ERU, Emergency Response Unit).

« Le Grand-Chef et le directeur général du Centre de santé communautaire ont été informés de l’opération tôt ce matin et coopèrent avec les enquêteurs », indique le Conseil. Le Centre de santé communautaire de Kanesatake précise également qu’il s’agit d’un mandat de perquisition « au sujet d’une enquête pour fraude ».

En entrevue avec La Presse jeudi matin, le Grand-Chef actuel du Conseil de bande, Victor Bonspille, a affirmé que l’enquête a été initiée par une plainte qu’il a lui-même faite à la Sûreté du Québec en 2021, pour des évènements qui se sont déroulés alors que Serge Simon était le Grand-Chef. « Des millions de dollars en aide pandémique ont été pris de notre communauté pour être donnés à des employés du Conseil de bande et du Centre de santé communautaire sous forme de salaire supplémentaire à leur salaire de base. À mes yeux, c’est une fraude », affirme le Grand-Chef Bonspille.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Simon

« Quand quelqu’un gagne plus que le premier ministre sur une période de 18 mois, il y a quelque chose d’anormal », ajoute Victor Bonspille.

L’ex-grand chef Serge Simon, qualifie d’« accusations ridicules » les affirmations du Grand-Chef Bonspille. « Les dépenses qui ont été faites pour la COVID-19 étaient loin d’être frivoles ou de la fraude. Oui, certaines compensations étaient hautes et j’ai aussi soulevé les sourcils, mais quand tu regardes les heures que ces travailleurs ont mis, ça met les choses en perspective, nuance M. Simon. Il fallait organiser les centres de dépistage, ensuite les centres de vaccination. Certaines personnes sont parties en burn-out »

« Drapeaux rouges » et « camouflage »

La Presse a obtenu d’un groupe de citoyens mohawks qui dénonce la violence, l’intimidation et la corruption sur le territoire autochtone le sommaire d’un audit de la firme juricomptable Williams Meaden & Moore. Ce document, dont l’authenticité a été confirmée par le Grand-Chef Bonspille, traite de la gestion de 4 889 934 $ de fonds d’aide pandémiques faite par l’Unité de réponse d’urgence, une organisation ad hoc « comprenant certains employés du Conseil de bande de Kanesatake et du Centre de santé communautaire de Kanesatake. »

Le rapport de cinq pages conclut que des « mouvements de dépenses d’un compte à l’autre » dans les livres comptables relatifs à la gestion de ces sommes « représentent des drapeaux rouges et semblent représenter des tentatives de camoufler ou de cacher la nature de ces transactions », écrivent les auteurs du rapport juricomptable, qui n’est pas signé.

Des quelque 5 millions reçus du gouvernement fédéral entre avril 2020 et juillet 2021 pour la réponse pandémique, 3,1 millions ont été versés en salaires et en aide ponctuelle, souligne le rapport. « Nous avons noté que quatre employés de l’Unité de réponse d’urgence ont reçu une rémunération supplémentaire d’un montant de 615 799 $ aux tarifs de l’Unité de réponse d’urgence, qui n’ont pas été chargés dans les comptes bancaires de l’Unité de réponse d’urgence. »

« D’après une revue de toute la documentation relative aux salaires et à l’aide ponctuelle, tous les employés payés au tarif de l’Unité de réponse d’urgence (salaire de base et supplément) n’ont pas été rémunérés par le système de paie habituel. Nous comprenons que toute la rémunération basée sur les salaires de l’Unité de réponse d’urgence n’a pas été déclarée », ajoute le rapport juricomptable.

Le rapport ajoute que l’officier de liaison de l’Unité de réponse d’urgence a été payé comme consultant pour un total de 195 942 $, « ce qui équivaut à un taux horaire de 80 $, comparé aux 40 $ facturés au Conseil de bande de Kanesatake avant avril 2020, ce qui est le double du taux. »

Le rapport souligne que 67 % de la nourriture achetée pour la banque alimentaire dans le cadre de l’aide pandémique a été payée par des cartes de crédit personnelles des membres de l’Unité de réponse d’urgence « et remboursés sans la préparation d’un rapport de dépense formel. »

La firme juricomptable note aussi que l’aide fédérale a servi à acquérir une chambre réfrigérée d’une valeur de 36 618 $, qui a initialement été achetée par l’entreprise personnelle d’un membre de l’Unité de réponse d’urgence. « Ceci représente un conflit d’intérêts face au rôle que cet individu joue comme membre de l’Unité de réponse d’urgence. »

« D’après notre revue de 1,4 million de dépenses, environ 35 % desdites dépenses ont été payées personnellement par les membres de l’Unité de réponse d’urgence et remboursées sans rapport de dépenses officiel », lit-on.

« Nous avons noté que plusieurs entrées dans les livres comptables ont été enregistrées pour déplacer des dépenses d’un département à l’autre. Nous considérons que ces entrées dans les livres comptables rendent difficile de suivre les dépenses. »

L’ex-Grand-Chef Serge Simon assure néanmoins que « personne n’a volé d’argent ». S’il y a eu des dépenses qui ont dépassé les normes administratives, il y a sûrement de bonnes raisons. Les gens ont acheté eux-mêmes de la nourriture avec leur carte de crédit parce que des gens de la communauté avaient faim. »

Climat « toxique »

La situation au sein du Conseil de bande de Kanesatake est qualifiée de « d’environnement toxique » par le Grand-Chef Victor Bonspille. La Cour fédérale a ordonné il y a deux semaines la réintégration de Serge Simon à titre de chef, après une contestation de son élection menée par Valérie Bonspille, la sœur jumelle du Grand-Chef Victor Bonspille.

« C’est encore plus toxique depuis que la Cour fédérale, et non pas la communauté, a réintégré Serge Simon », affirme Victor Bonspille. Mise à part Valérie Bonspille, aucun des chefs ne fait son travail correctement », se plaint-il.

Serge Simon réplique que c’est l’attitude de Victor Bonspille qui est responsable de la crise interne : « Le Grand-Chef garde toute l’information et ne dit rien à ses chefs. C’est le seul qui fout le trouble », lance M. Simon.

M. Bonspille croit que de nouvelles élections au Conseil de bande pourraient ramener de l’ordre et la paix. « Mais il faudra d’abord qu’un nouveau code électoral, en cours de préparation, soit accepté par la communauté », dit-il.

Rectificatif
Une première version de ce texte mentionnait que l’ex-Grand-Chef Simon n’avait pas commenté, que les appels à son numéro étaient redirigés vers la boîte vocale d’une avocate. Ce qui n’est pas le cas.