Deux secondes avant de freiner, le motocycliste Félix-Antoine Gagné ne voyait probablement pas la camionnette F-150 de l’accusé roulant en sens inverse dans une courbe, selon un expert en reconstitution d’accident. La Couronne a terminé sa preuve jeudi.

Le jury a pu se mettre dans la peau du motocycliste de 19 ans avant la collision fatale jeudi au quatrième jour du procès d’Éric Rondeau, accusé de conduite dangereuse causant la mort. L’agent reconstitutionniste de la Sûreté du Québec Benjamin Bernier a décortiqué les circonstances de la collision qui a coûté la vie de Félix-Antoine Gagné, le 22 juillet 2019, à Sainte-Élisabeth, près de Joliette.

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Au volant de sa camionnette F-150, Éric Rondeau s’est arrêté pendant une quinzaine de secondes dans une courbe de la route 345 pour laisser traverser une cane et ses canetons. Pour contourner les canards, il a franchi la ligne double centrale et s’est retrouvé « complètement » dans la voie inverse en roulant à seulement 18 km/h. Notons qu’il traînait une remorque de ponton d’environ 10 mètres.

C’est à ce moment que la collision fatale est survenue. Une vidéo présentée au jury montre l’entièreté de cette scène terrifiante.

Circulant en ligne droite sur sa moto sport Yamaha, Félix-Antoine Gagné roulait dans la zone de 70 km/h à une vitesse évaluée par l’expert entre 90 et 100 km/h. Une vitesse qui n’est pas hors norme, selon l’agent Bernier. Des véhicules circulent dans cette courbe à 90 km/h « tous les jours », a-t-il ajouté.

PHOTO DÉPOSÉE EN PREUVE

Cette carte montre le lieu précis de la collision sur la route 345 et la configuration de la courbe.

Les marques de freinage au sol montrent que Félix-Antoine Gagné a commencé à freiner environ 38 mètres avant de voir la camionnette, puis a perdu le contrôle en raison du blocage des roues et des « lois de la physique », selon l’expert.

Des photos présentées au jury permettent de voir plus clairement ce que le jeune motocycliste voyait sur la route quelques secondes avant la collision. L’agent Bernier a précisé que selon les études, le temps de réaction d’un conducteur est de 0,5 à 1,7 seconde après avoir aperçu un danger dans sa voie.

Ainsi, trois secondes avant de freiner, Félix-Antoine Gagné ne voyait absolument pas la camionnette dans la courbe s’il roulait à 90 km/h, conclut l’expert.

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C’est cette vision que Félix-Antoine Gagné avait trois secondes avant de freiner, s’il roulait à 90 km/h. Il ne pouvait donc pas voir la camionnette dans la courbe, conclut l’expert.

Même deux secondes avant de freiner, il était « difficilement possible » pour le motocycliste de voir l’imposant F-150 de l’accusé, a témoigné l’expert.

Sur une photo présentée au jury, on peut voir la camionnette dans la courbe, mais pas sa longue remorque. Cependant, selon l’expert, la camionnette était dans les faits beaucoup plus à droite que sur cette image au moment des faits, puisque 3,7 secondes devaient encore s’écouler jusqu’à la collision.

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Il s’agit de la vue que Félix-Antoine Gagné avait deux secondes avant de freiner, s’il roulait à 90 km/h. On peut voir la camionnette dans la courbe. Cependant, la camionnette était alors plus à droite sur l’image puisque le véhicule avançait à 18 km/h avant la collision.

Finalement, une seconde avant le freinage de la moto, toujours selon l’hypothèse d’une vitesse de 90 km/h, le motocycliste pouvait voir la camionnette, mais probablement pas sa remorque. Sur cette photo, l’expert estime que le véhicule se trouvait une dizaine de mètres plus à droite. Notons que selon le témoin, 1,47 seconde s’est écoulée entre le freinage de la moto et la collision.

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Une seconde avant de freiner, Félix-Antoine Gagné pouvait voir la camionnette de l’accusé. Selon l’expert, le devant de la camionnette se trouvait alors au niveau de sa remorque sur cette photo. On peut voir le début de la trace de freinage au milieu de la photo.

L’accusé Éric Rondeau a été « piégé » par la configuration de la courbe, a suggéré son avocat, MRichard Dubé, en contre-interrogatoire. Une thèse complètement rejetée par le témoin.

« Tous les autres usagers de la route ne se ramassent pas en sens inverse. Il n’est pas piégé par la courbe, il a pris la décision de s’y retrouver. Aux dernières nouvelles, les véhicules ne se conduisent pas tout seul », a lancé l’agent Bernier.

Selon la théorie de la Couronne, ce n’est pas la décision de l’accusé de s’immobiliser qui constitue une conduite dangereuse, mais plutôt sa manœuvre « volontaire » de circuler à contresens à basse vitesse. Au début du procès, le procureur MAlexandre Dubois a souligné au jury qu’il ne s’agissait pas du procès de la victime, mais plutôt celui de l’accusé.

Le procès se poursuit lundi au palais de justice de Joliette.