La Couronne réclame 10 ans pour un père coupable d'inceste

« Cet homme m’a fait vivre un enfer », souffle Vanessa*. Agressée sexuellement à de multiples reprises par son père, la courageuse adolescente a « repris sa voix » en témoignant contre son bourreau. La Couronne réclame 10 ans de détention, alors que la défense suggère la peine minimale en raison de la réhabilitation « exemplaire » de l’accusé.

Maintenant âgée de 17 ans, la victime a lu une lettre coup-de-poing à la mi-décembre lors des observations sur la peine de son père. Le Montréalais de 50 ans a plaidé coupable à des accusations d’inceste et d’agression sexuelle au palais de justice de Montréal. On ne peut révéler son nom pour protéger l’identité de sa fille.

« J’ai été dégoûtée par la décision que mon père a prise. J’ai été dégoûtée par mon existence. Je me suis sentie comme une petite fille non voulue sur qui on avait jeté un mauvais sort. Traumatisée, je n’ai dit à personne ce que je vivais. Quand je parlais, ma voix me faisait mal. Parfois, je n’arrivais pas à sortir un son. À ce jour, ma gorge reste encore serrée », a confié la victime.

C’est en traversant le Canada à vélo en solitaire au milieu de l’adolescence que Vanessa a réussi à « retrouver » sa force. Malgré les atrocités qu’il lui a fait subir, elle a pardonné à son père et lui souhaite une « vie honnête ».

Il a perdu la plus belle famille qu’il aurait pu avoir. Mon seul but était de reprendre ma voix.

Vanessa*, victime de son père

« Vous êtes une dame très forte, très courageuse et très empathique », a tenu à souligner le juge Manlio Del Negro.

Les crimes commis par le père de quatre enfants sont d’une horreur sans nom. Entre 2013 et 2015, il a profité de l’absence de sa femme qui travaillait de nuit pour agresser sexuellement leur plus jeune fille à une dizaine de reprises. Elle n’avait que 9 ans.

Le Montréalais de 50 ans a été arrêté en 2019 après avoir été dénoncé par sa fille.

Une peine de 10 ans d’emprisonnement s’impose pour des gestes aussi graves et intrusifs à l’endroit d’une fillette, selon le ministère public. En matière d’inceste, le minimum est de 5 ans et le maximum, de 14 ans.

« Cinq ans, c’est le plancher. C’est manifestement non indiqué dans ce cas-ci », a insisté le procureur de la Couronne, MCharles Doucet. Parmi les facteurs aggravants, il relève l’abus de confiance, le jeune âge de la victime, la gravité des crimes et leur fréquence. « [La victime] vivra toute sa vie avec les gestes abusifs de son propre père qui se devait de la protéger dans la maison familiale », a plaidé MDoucet.

Dans les rapports, l’accusé semble expliquer son passage à l’acte par son absence de sexualité, a déploré le procureur. « C’est horrible de commencer à vouloir prétendre que [cela] peut expliquer ou justifier d’abuser de sa propre fille », a souligné MDoucet.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le procureur de la Couronne MCharles Doucet

Un rapport révèle que le père faisait des blagues de nature sexuelle pendant son évaluation sexologique pour « créer un lien de complicité » avec son interlocuteur. « Je n’ai pas vu ça souvent », a affirmé le procureur.

« Je suis le seul coupable »

La défense estime que la peine minimale de cinq ans de détention est adéquate. À plusieurs reprises, MJean-François Boudreau a relevé le « courage » de son client et sa réhabilitation « exemplaire ».

Il a fait tout en son possible pour se soigner, pour s’amender, pour se réhabiliter. Ça prend du courage.

MJean-François Boudreau, avocat de la défense

Les rapports concluent à un risque de récidive faible et à une absence de trouble pédophilique. De plus, le père reconnaît la gravité de ses crimes et démontre de l’empathie à l’égard de la victime, a fait valoir MBoudreau. Il en a aussi « payé le prix » en perdant contact avec ses autres enfants.

L’homme de 50 ans, qui travaille comme « homme à tout faire », a exprimé avec éloquence les bienfaits de son cheminement thérapeutique. Sans tenter de justifier ses crimes, il a expliqué avoir compris les facteurs qui l’ont poussé à commettre ses gestes « déviants et criminels », soit sa dépression, ses difficultés financières et ses mauvaises relations familiales.

Il a également salué le « courage » qu’a eu sa fille de le dénoncer. « Ce courage, je ne l’ai jamais eu », a-t-il lâché. « J’ai profité de ta vulnérabilité et de ton innocence pour prendre le contrôle de ta personne. Je suis le seul coupable de t’avoir fait subir ces crimes affreux. J’ai clairement failli à mon rôle de père en te faisant subir l’innommable », a-t-il déclaré.

Le juge rendra sentence en mars prochain. L’accusé demeure en liberté.

* Prénom fictif